18. Les vergers , la cagarette
Nous jouions aux gendarmes et aux voleurs. C’était de la fiction, mais quelques fois il nous arrivait d’être des chapardeurs particuliers. En effet, le fils du propriétaire était des nôtres : on détalait au signal :
Voilà mon père ! Criait Rigail à ses invités.
Nous avions les poches pleines, suivant les saisons, de cerises, de nèfles ou de poires. Ces ripailles surchargeaient nos intestins.
La consommation exagérée de nos butins, nous condamnait à la cagarette, comme disait Mémère Roquefère avec son accent de la rue Boutry, à droite du vieux port, derrière la mairie de Marseille, cet accent et ce vocabulaire que le monde entier nous envie, que les clients du café de la gare venait déguster avec les « kémias » et l’anisette. Notre grand mère faisait la cuisine et le spectacle comme une marionnette derrière son comptoir : avec un âne, un chien, un client, Jules et Pauline, Marcel Pagnol aurait pu la faire entrer à l’académie française la « cagarette ».
Quand le phénomène prenait une tournure plus inquiétante, mémé Jeanne nous conduisait chez le docteur Dornier qui assurait les consultations deux fois par semaine à la mairie. Il venait de Marnia, avec les médicaments d’urgence ; autrement il fallait les faire venir de Tlemcen par le train. Notre mère, avait dans sa pharmacie : de la teinture d’iode, de l’aspirine, du lactéol, de la quinine, de l’huile goménolée, de l’arnica ; elle avait aussi de la moutarde à enveloppements et des ventouses. D’un regard elle nous oscultait
Oh ! Toi tu n’es pas bien ! Viens voir « manman » !
Ouvre la bouche ! Tire la langue ! Regarde-moi dans les yeux !
Camille je te dis que le petit il est pas bien !
Jeannette ! Je vais le frictionner au pétrole
Camille, à voir si tu lui fais un « visicatoir !
Il n’y avait pas de « sécu » et les médecins soignaient gratis la plupart du temps : Ils avaient la vocation, le feu sacré en ce temps là, ils faisaient leur tournée à pieds ou tout au plus à vélo.
Quand la colique nous prenait, nous organisions des compétitions inattendues : c’était à celui qui ferait le plus gros tas de ses déjections, ou le plus grand cratère en pétant sur du sable : Bélélé Rodriguez et son neveu Para Marcel, qui avaient le même âge, étaient les plus performants.
Le bélélé en question avait tout du saltimbanque : il possédait un petit singe surnommé « quiqui ». L’animal et son maître avait un air de famille : le même museau pointu, les oreilles en feuilles de choux plantées très bas, le regard vif et le geste rapide. La vie en commun a fait qu’ils avaient déteint l’un sur l’autre ; le geste et le regard étaient leurs moyens de communications. Pendant les vacances Quiqui et Bélélé étaient inséparables. Il promenait son partenaire à vélo agrippé au guidon, ou dans une caissette ficelée sur le porte bagage. Suivant son humeur, Quiqui faisait un numéro d’équilibriste : il passait de l’avant à l’arrière par le dos de Bélélé ; arrivé à destination, il applaudissait : un vrai cirque ! Nous étions ravis par ses grimaces, nous étions persuadés qu’il riait de ses exploits.
Pendant les parties de billes, sous les platanes, le singe restait relié au vélo par une longue chaînette, il en profitait pour jouer dans les branches. Au cours de ses acrobaties sa queue lui servait de sécurité. Il lui arrivait de rater un « loopings », il se retrouvait dans la poussière, alors il se calmait, et regardait Bélélé avec l’air de lui demander pardon.
Pas question de s’approcher de Quiqui, nous étions méfiant à son égard et gardions nos distance quand il grimaçait en nous montrant ses dents, ou quand il s’agitait en poussant des cris stridents dès qu’un chien trop curieux s’approchait de ce qu’il croyait être un congénère. Alors Bélélé faisait semblant de ramasser une pierre en gueulant :
Aller « kché » ! Putain de chien ! Il veut me « niquer » Quiqui !
Le cabot, habitué à ce genre de « rebiffa des » détalait et notre ami retrouvait son calme.
Chacun apportait des friandises à la mascotte : Il adorait les cacaouettes qu’il saisissait avec méfiance prêt à s’enfuir ou à mordre : il les décortiquait prestement en crachant la peau.
Nous fumes très tristes le jour où Bélélé nous annonça que Quiqui avait disparu.
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