jeudi 10 juillet 2008

31-. Nous tricotons, Camille est mobilisé

. Nous tricotons, Camille est mobilisé

7. Nous tricotons, Camille est mobilisé
Une nouvelle rentrée des classes eu lieu avec deux mois de retard. Madame Amouyal et mademoiselle Lamassour remplacèrent les titulaires partis au front La première disait avoir un rhum chronique ; en fait elle pleurait à longueur de journée son mari mobilisé du coté de Verdun. La seconde, célibataire pulpeuse de 22 ans jeta son dévolu sur le fils du maire et entra en concurrence avec Raymonde Cassé, jusque’ au moment où le dont Juan rejoignit le Sixième tirailleur dans le Pas de Calais : appelé pour défendre la Patrie.
L’hiver fut vite là, la troupe avait froid. En travaux pratique la directrice organisa un tricotage général : des cache- nez pour nos soldats ; C’est à cette occasion que j ‘appris à monter des mailles, à tricoter sans bouger les aiguilles, le point de mousse et le point de riz. J’ai réalisé un cache-nez de 50 cm de large et 2 mètres cinquante de long Les cache- nez ne partirent jamais pour le front : c’est mon père qui profita du mien : avec il s’enroulait le cou puis deux fois la poitrine et ce qui restait, il le fourrait dans son pantalon.
Bref ! Madame Amouyal s’occupait de son bébé aux récréations qui n’en finissaient pas. Elle nous apprenait les conjugaisons et les analyses logiques : c’était son dada. Personne n’y a jamais rien compris tant elle était confuse dans ses explications sauf Gustave Serrès qui bénéficiait du soutien de sa sœur, titulaire du brevet élémentaire.
Cependant elle était très ordonnée, elle passait le plus clair de son temps à ranger le matériel pédagogique ; elle nous demandait de couvrir les livres de bibliothèque avec du papier bleu ; je crois bien qu’elle craigne la visite de l’inspecteur car à cette époque, il comptait les plumes sergent major et les boites de craie. Pour faire la poussière et mettre de l’ordre dans ses placards, elle grimpait sur un escabeau en bois, les uns lui passaient les mesures de volume, les éprouvettes et les cornues ; les autres les têtards en conserve dans le chloroforme, la balance Roberval ou la chaîne d’arpenteur ; Personne ne voulait s’occuper du crâne jauni par le temps sauf Galindo qui avait l’habitude de dénicher les moineaux dans les cyprès du cimetière. Certains inoccupés par ce chantier pas très passionnant, se baissaient pour regarder sa culotte : j’étais de ceux la ; nous avions entre 10 et 14 ans. : L’âge où l’on se sent pisser.
Quant au programme scolaire, pas de problème de robinets ni de trains qui se courent après. Je suis certain qu’elle était allergique aux calculs quels qu’ils soient. Elle ne savait jamais choisir entre pierre carrée et deux pierres pour calculer la surface ou la circonférence d’un bassin. Monsieur Garcia nous l’avait bien appris lui. Ne parlons pas des fractions ou des conversions entre centilitres et millimètres cubes c’était le naufrage général, même Gustave Serres nageait avec sa béquille de sœur. Au certificat d’étude, le palmarès : 3 reçus dont 2 redoublants et Gustave, 10 recalés dont je faisais partie ; C’était la débâcle, une de plus, ou mauvais présage.
L’hiver 39-40. La débâcle. Turenne sous la neige
Pendant, que la troupe avait froid. L’hiver fut très rigoureux. Aux actualités cinématographiques, L’armée en capote et bandes molletières tapait des pieds devant des feux improvisés, elle pataugeait avec les chevaux dans la boue et la neige tirant et poussant les canons 75.
Des vols de corbeaux attendaient la bataille. Leurs ancêtres avaient accompagné la grande armée durant la campagne de Russie. Les corbaques se préparaient au festin : la chaire à canon mijotait à grand froid, ou à petit feu. La ligne Maginot devait dissuader, pulvériser l’envahisseur. L’ennemi l’ignora, il passa outre, par dessus, par coté, avec ses stukas et ses blindés. La cinquième colonne avait bien préparé le terrain, pendant que chez nous le ministre des loisirs organisait des fêtes, des banquets aux frais de la princesse. Sur la cote d’Azur, les casinos, les roulettes en avaient le tournis. Le champagne coulait à flot sous la bataille de confettis.
Les anglais, rembarquèrent à Dunkerque leurs Tomis dans une pagaille meurtrière. Les Allemands continuèrent de débouler sur la Loire : la guerre continuait. Tous les moyens étaient bons pour fuir L’envahisseur : les pataches, les carrioles, les guimbardes, les bicyclettes, les canassons, les poussettes, les godillots. La France perdit la bataille sans la livrer : Hitler était trop fort. Même Mussolini se permettait de franchir les Alpes. Coup de poignard dans le dos disaient les purs, les Francs ; Comme si la guerre pouvait se faire sans armes, sans mort, sans prisonnier, sans traître, sans héros, sans vaincu.
Un matin, le village se réveilla sous la neige. Le froid traversa la Méditerranée, et s’abattit sur L’Atlas. Ce fut notre baptême, nous n’avions jamais vu la neige. Quel spectacle immaculé, quel silence blanc et feutré ; ce fut merveilleux, la fête pendant 8 jours dans le cœur des enfants. Tous les jeux possibles y passèrent : bataille de boules de neige, bonhomme, glissades, construction de luges, et puis le temps se radoucit, la neige disparu, les oiseaux reprirent leurs activités de printemps ; les luges ont laissé la place aux carricots à roulements sur la cote de Barbata. Nous ne pensions plus à la guerre, nous devions retourner sur les bancs de l’école et les analyses grammaticales de Madame Amouyal. Au certif, 13 fautes ¾ en orthographe pour une dictée de 8 lignes La directrice disparut comme elle était arrivée. Je crois qu’elle fut remerciée : les juifs étaient radiés de la fonction publique. Avec le temps j’ai compris pourquoi elle avait toujours un mouchoir humide à portée de la main et les yeux rouges.
7(bis) Camille est mobilisé à Tlemcen
Jusque là, la guerre nous avait épargnés
. Cela ne dura pas, Camille avait échappé à la mobilisation générale en 39 : il avait été mobilisé sur place…
La situation était telle que des renforts furent demandés à L’empire colonial et notre père fut appelé au 6° tirailleur à Tlemcen. Il était souvent au village dans un uniforme pitoyable : des bandes molletières qui laissaient voir ses mollets ou ses chaussettes, une chemise élimée trop grande, le cou blanc rasé dans un col en entonnoir, lui donnait l’allure d’un condamné à mort préparé pour la guillotine. Il ressemblait aux réfugiés espagnols, fuyant Franco, qui passaient à Turenne quelques années plus tôt, tout ficelé dans des pansements en lambeaux, mendiant un morceau de pain ou un verre d’eau. La déception fut grande pour toute la famille : Nous attendions un marin en col blanc vêtu d’un pantalon à pattes d’éléphant, coiffé d’un bonnet à pompon rouge, comme sur l’album photo de ses 20 ans quand il servait à Toulon en 22 du coté de Saint Mandrier.
L'Orage rentre à Toulon Comme Camille en 1922 pour faire son Régiment. Le feuilleton
continue en 1940 à Turenne

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