mercredi 16 juillet 2008

1 - 2 Ans à AÏN- SEFRA



2 Ans à AÏN- SEFRA
Sud oranais 1941-1943


1 La maison , la gare.

2 Les pères Blancs: Jolivet, Frémeaux, Segretain, Krebs, Hogoma, Janin
"Les Pères Blancs ont sauvé beaucoup de jeunes à l’époque. Ils ont laissé derrière eux un vide "grand" que les Algériens ont bien ressenti. Est-ce grâce à l’efficacité et à la méthode
d’enseignement pratiquée dans leurs écoles ?" « un algérien sur le net »

3 Les frères: Louis, Marcel, Joseph,Jean-Marc.

4 La vie scolaire:
Les cours
L'étude
les ateliers
Les récréations: la piscine, le foot, les sorties, les grandes sorties, Tiout, les scouts, le Kréder

5 La rebellion: Le noyau de datte

6 La polio: Roger Garcia

7 Les vacances: Le 3° barrage, le radeau, les dattes de Chine, les juifs, la piscine de la légion, les béguines , les dunes , la Gare, les copains : les 2 Ponsailler , les 2 Bazerques, les 4 Martinez roland, Raymond, Vincent et Paulo, Détoma; les copines : Hélène, Josette, Lydia ,Marceline

7Le marchand de Brochettes

8 Le poète

9 Les Restrictions, les ragoûts de Chameaux, la pénurie de sucre

10 Le débarquement des Américains

11 La légion étrangère : les salles de gym, les matchs de foot ,L'escrime,les Altères , la boxe ,
le cross

12 Le Père André: le M.C.R. ( mouvement des Chrétiens retraités à Aubagne)

13 La nouvelle du colonel Blanc

14 Marceau chez les pères Blancs

15 Quiqui et L'institut Pasteur

16 Le Légionnaire Flut

17le bois de boulogne


1/La maison la gare .

Mon père devenue « facteur enregistrant » avec prime du Sud ,l'été 1942 , la famille Martinez Camille au complet reprit son « barda » et le cheminot planta sa tente dans le Sud Oranais :
à Aïn-Sefra .Camille avait dégoté un logement pas loin de l'église ,de l'école public mais aussi de l'épicerie Garcia ,de la boulangerie Miraillès et de la boucherie :
deux grandes pièces ,une cuisine ,une courette ,un débarra ,un wc dans le coin et un robinet dans la cours . En deux temps et trois mouvements les meubles furent montés ,les penderies installées ,les pièces affectées même Quiqui notre petit chien, trouva sa place au débarra sur un sac de jute .
En même temps qu'un logement ,nôtre père avait pris les devants et l'inscription chez les pères blancs était faite:
Les pères blancs !! Parlons-en ! En Algérie les pères blancs étaient synonymes de redressement pour les enfants difficiles c'est ainsi que très tôt nous avions entendu parler d'eux sous forme de menace:
« Si vous n'arrêter pas de faire les voyous je vous « fout » en pension chez les pères blanc à Aïn-Sefra !»
Hé bien ,le premier octobre 1941 Raymond et Polo passaient sous le porche de l'institution Lavigerie ; tout « penauds » abattus nous nous retrouvions dans l'enceinte d'un purgatoire que notre père nous promettait depuis des années . L'institution ne ressemblait pas du tout aux écoles que nous avions fréquentées jusque là .
Dès les premiers pas ,à droite ,le local des scouts, puis deux classes alignées jusqu'à la chapelle: un renforcement, une grande battisse perpendiculaire aux classes, le ré-de-chaussée était aménagé en salle de spectacle et le premier étage en chapelle surmontée d'une niche ouverte ou pendait une cloche, puis une rue bordée de tamaris se perdait vers d'autres petites battisses et un grand jardin potager et fruitier.
A gauche du porche, d'autres classes. En face de la chapelle le bureau du père supérieur : le père Jolivet ; puis l'économat et le bureau du père Hogomat, puis on aboutissait à une grande cours carrée d'environ cent mètres de côté, contre l'économat le préau occupait tout un côté. Le deuxième côté était une clôture de tamarin et de barbelés contre la route qui menait au village nègre; puis une série de cabinets pour enfants et trois pour adulte. Le troisième côté se constituait d'un bosquet qui se perdait vers le village nègre, devant se petit bois des agrées: portique, corde a noeuds, balançoire, sautoir, pas de géant...
Le quatrième côté: un grand bâtiment de trois étages. Au réz-de-chaussée, l'étude qui pouvait recevoir deux cents élèves, le réfectoire et les cuisines. Au premier étage les chambres des pères blancs et des frères. Au deuxième étage les dortoirs: les petits et les grands séparés bien entendu. Derrière les études, un bassin d'irrigation baptisé pompeusement la piscine, et les ateliers; fer et bois. L'école était payante mais pas très cher puisque le petit cheminot au salaire modeste pouvait y envoyer ses garnements.
Le frère Louis nous distribua les livres et les fournitures scolaires .J'atterris en E.T.1 et Raymond en E.T.2 ,et le travail commença « Dar Dar » 13 heures de présence à l'institution : de 7 heures du matin à 20 heures le soir ;le repas de midi pris à la maison pour les externes ; pas de devoirs , pas de leçons et pas de cartable au domicile.

2/les peres blancs .

«C'est par leur foi » et leur persévérance qu'ils nous donnèrent confiance en nos propres forces dans nos capacités à atteindre la vérité d'un Dieu caché, ineffable et partout présent »
( Jules Vernes )
Le Père Supérieur:le RP JOLIVET dirigeait l'institution: la soixantaine , une grande carcasse, les yeux bleus, la voix grave dont les silences étaient compris par tous; ses apparitions rétablissaient le calme; C'est lui qui distribuait les billets d'honneur, les sanctions, les prix, et le nerf de Boeuf. Son outil était un mythe: personne ne l'a jamais vu et il n'y avait que lui qui avait le droit de s'en servir. Il en parlait à chaque rentrée et c'était tout. On racontait, qu'il avait été officier de marine et qu'il commandait un navire de guerre en temps de paix ... Il avait des airs de prophète: Abraham. J'aimais sa voix à la messe du Dimanche au moment du « Crédo » ou du « Confitéor »que nous chantions en latin. Il dirigeait l'institution comme à la « Royale » son bateau et par tous les temps...
Le RP FREMEAUX :un grand maigre flottant dans sa soutane blanche ,la chéchia rouge jusqu'aux oreilles ,des sandalettes type père de FOUCAULT ,les joues roses ,l'oeil vif ,un sourire permanent , il s'occupait de nous en français et montait de petites représentation théâtrales : nous avons encore en mémoire les paroles de Théhodore Botrel retrouvée récemment par Jeanine où la morale était toujours présente et Raymond interprétait le Gueux reçu par un métayer charitable

« Puis le métayer s'endormit
La minuit étant proche..
Alors le vagabond sortit
Son couteau de sa poche
L'ouvrit, le fit luire à la flamme,
Puis se dressant soudain,
Il planta la terrible lame
Dans... la miche de pain!!! »
Morale:
Vous dormirez en paix, ô Riches,
Vous et vos capitaux,
Lorsque les gueux auront des miches
Où planter leurs couteaux!!!

Il caressait constamment sa barbe légèrement rousse, sa voix chaude résonnait dans la chapelle quand il chantait : « Tu es mon berger oh Seigneur !» .Il nous accompagnait pendant les grandes promenades et souvent au retour il ramenait les plus petits sur son dos. Pendant les récréations illisait son bréviaire sans lever la tête, absorbé, lointain, dans son ciel en conversation avec Dieu.
Le RP JANIN: doux, soigné, une diction des châteaux de la Loire, une barbichette comme la chèvre de monsieur Seguin : il nous racontait avec joie et satisfaction ses missions en Afrique preuves à l'appui avec ses albums photos ,ses parties de chasse pour protéger les paroissiens des panthères qui rodaient autour des huttes et s'attaquaient surtout aux enfants imprudents qui sortaient du village à la tombée de la nuit ; ses déplacements à bicyclette pour assurer son service dans les tributs voisines . Il évoquait avec plaisir le travail de ses « ouailles » pour construire une chapelle en torchis séché avec un petit clocher et une jolie petite cloche. L'histoire, la géographie, le dessin étaient les matières dont il était responsable.
C'est avec lui que j'ai commencé à aimer les couleurs , les frises, les mosaïques , les natures mortes :un casque colonial, une sandale, une Godasse et le problème des ombres était posé
Malheureusement, un beau matin, il s'absenta, le père Jolivet nous annonça son départ pour Maison Carrée dans le but de se refaire une santé , il nous lu quelques lettres, courageuses, affectueuses pour nous, ses élèves; le père Janin nous aimait beaucoup: nous étions ses enfants .Deux mois passèrent et le Révérend Père Blanc quitta ce bas monde :Rappelé par le Seigneur. Le père Supérieur organisa une grande Prière pendant l'étude du soir suivi d'un grand silence
Le RP SEGRETAIN :un petit râblé ,trapu ,cours de partout ,agile comme un singe ,qui n'hésitait pas à courir derrière un ballon avec nous entre midi et deux en remontant sa soutane .Il jouait ailier droit et DETOMA ailier gauche ,RAYMOND gardien de but et le frère LOUIS arbitrait les matchs ,une équipe capable de lancer des défis à la légion étrangère .Il nous enseignait les maths et les sciences , j'ai beaucoup progressé en mathématiques et m'a fait aimer les sciences .
Le RP KREBS : grand ,légèrement bedonnant avec un accent germanique une grande barbe grisonnante ,il s'occupait de l'instruction religieuse ,on le surnommer COBUS sans savoir pourquoi, il devenait tout rouge quand il s'énervait après DESSOLIER un élève turbulent dont les parents résidait à Alger .Cest le seul père blanc que nous chahutions en bourdonnant en fin d'étude quand les devoirs étaient terminés
Le RP HOGOMAT : le plus âgé, tout en rondeur aux chaussures éculées rigoureux comme un comptable, économe, dans son économat :c'est lui qui tenait les comptes, qui encaissait les frais de scolarité et contrôlait les fournitures scolaires. Accessoirement, il nous parlait de l'ancien et du nouveau testament en instruction religieuse pendant que le frère LOUIS assurait les cours de morale et d'instruction civique aux élèves musulmans et israélites. Il était plus rusé que nous et ce n'est pas peu dire.Aïn-Séfra: la place, l'église, l'école laïque, où ma soeur Jeanine était scolarisée. L'école a brû.lé pendant notre séjour. Le lendemain,entre 4 murs qui fumaient encore, les ossements métalliques du piano jonchaient le sol à l'endroit où, la veille, il donnait le 'La ' aux écoliers

3/Roger garcia au pas de géant


Roger, un bon camarade de classe, en ET1, mais aussi un voisin au village. Ses parents tenaient une épicerie mitoyenne à notre maison. Nous étions clients à cause de la proximité. Très tôt, nos parents s'aperçurent que Mostaganem avait abrité leurs adolescences De plus Roger était dans ma classe, et « Boy-scout » avec Raymond ce qui arrangeait nos familles surtout que Roger était handicapé: la « polio » avait frappé quelques années plutôt Avec une retraite et l'èpicerie la famille Garcia n'avait pas de fin de mois difficile Roger était choyé, sa soeur Gisèle avait un piano et donnait des leçons de solfège dont Jeanine profita longtemps.
Avec Roger nous avions une passion commune: les timbres. C'est Monsieur Roblès qui m'a four ni mes premières Semeuses que je classais dans des boites d'allumettes. C'est mon copain Roger qui m'a appris à organiser mon premier classeur : Il me passait des doubles .Il était très généreux mais il surveillait leur valeur à l'aide du catalogue Thiaude. Ses parents ne lui refusait rien. Il avait toutes les nouveautés il achetait des planches entières et les faisait oblitérer à la poste le jour de leur parution il en faisait « des coins datés » ce qui augmentait leur cotes Il était imbattable dans son domaine. Dans sa chambre une armoire abritait tous ses Classeurs.
A l'institution Lavigerie Roger prenait du bon temps il utilisait son handicap pour se faire respecter: il n'était pas le dernier à grimper au pas de géant pour se balancer et se servir de sa prothèse pour tamponner ses voisins: ses bras et ses mains avaient récupérer les forces perdues dans sa jambe au cours de sa maladie .
Aux inter-classe je le portais à « Bourriguette » : il déverrouillait sa prothèse se qui rendait le transport plus facile: il pouvait alors plier sa jambe .

mardi 15 juillet 2008

41-20 Le départ de Turenne pour Aïn- Séfra

Le « certificat » en poche, les vacances arrivèrent très vite. La dernière semaine de juin, le Maître nous corrigea les sujets de l’examen que nous venions de passer. Il insista particulièrement sur les problèmes qu’il traita par l’arithmétique mais aussi par l’algèbre en prévision de l’entrée en sixième. C’est m. Roblès qui m’a fait découvrir les X les inconnues les nombres positifs et négatifs ainsi que les équations.
Le jour du départ fut très triste : Quand j’ai frappé à sa porte, pour lui dire au revoir, j’ai découvert une carte de visite où j’ai pu lire : Monsieur Roblès ne reçoit pas !!...Quand il a entr’ouvert sa porte, j’ai découvert un homme effondré, livide, distant, fermé, muet, lui, si ouvert, si gai, si proche de nous, j’ai quitté Turenne le coeur gros ; sans savoir pourquoi
Soixante ans plus tard, à Perpignan, j’ai compris : Il m’a signé un autographe sur sa photo : Il a griffonné
EN SOUVENIR DE TURENNE en me disant : Le docteur Dornier a sauvé ma femme. Elle était contagieuse avec le typhus ou la typhoïde je ne sais plus
Bonsoir M’sieur !!! Encore Merci !!!Au Revoir!!!

40-19. Troisième rentrée : Emmanuel Roblès



Deux nouveaux instituteurs sont affectés au village : monsieur Roblès, comme directeur, et Roger Couvert pour s’occuper du C.P., CE1. Et C.E.2. Le premier nous était complètement inconnu tandis que Roger était un enfant de Turenne que nous connaissions bien. Pas de M’sieur avec lui ! Il devait avoir entre 18 et 20 ans : des études à Tlemcen, Pendant ce temps, il avait été le pion de Raymond. Il arrivait de Nemours, son premier poste. Pendant les vacances il revenait et nous racontait la vie de L’E.P.S, et il fantasmait beaucoup. La classe de Monsieur Roblès ; Le certificat La classe du certificat:le départ pour Marnia

Monsieur Roblès, faisait plus sérieux : une carrure d’athlète , le tain mâte, les dents blanches, une calvitie naissante, un gros grain de beauté à la place de la fossette droite ,un sourire dissymétrique éclairait son visage, avec ses lunettes d’écailles, il inspiraient le respect, sans la blouse noire, il avait l’air d’un inspecteur. Ses mains poilues soulignaient force et détermination. Il arrivait de Renan
Les deux enseignants n’avaient rien en commun.
Madame Amouyal avait laissé du travail ; 8 redoublants au certificat d’étude, des sauvageons indisciplinés. Les 8 premiers jours ont suffit à notre instituteur pour nous faire admettre quelques règles de conduite, son organisation, et mesurer l’ampleur de la tache :
A. Les rangs : vous préparez l’ordre d’installation sur les bancs dès que la cloche sonne.
B. Les entrées : le travail a commencé ! silence !
C. les sorties : le travail n’est pas fini !
D. La récréation : stationnement interdit sous le préaux des cabinets, il y avait trouvé des mégots
E. Hygiène : vous amènerez un torchon, une brosse à dent, le premier par ordre alphabétique amènera un morceau de savon qui servira pour toute la classe
F. Le service : essuyer le tableau, prévoir 2 bâtons de craie, inscrire la date , vider la poubelle, remplir les encriers ,essuyer les tables, aérer la classe 5 minutes, fermer les fenêtres pour ne pas avoir froid , sonner la cloche !
G. Les sanctions : à genoux, à genoux les bras en croix, à genoux les bras en croix un dictionnaire tenu à bout de bras, et pour finir le pain sec.
H. Les récompenses : 0 fautes en dictée = un timbre de collection, le jeudi après midi, travailler à la pâte à polycopier, arbitrer les match de football et de pelote basque.
I. les responsabilités : bibliothèque : Sintas ; trésorier : Florès ; journal : Bélélé ; Jardinage : Rigail ; Douche : Parra ; matériel de sport : Martinez ; voyage : Corcuff ; Théâtre Couvert ; musique : il n’y avait pas le choix, il était le seul à jouer de l’accordéon Son nom m’échappe ? ? ? ? ? ? Album photo : Schwall ; poël : Galindo ; fournitures scolaires : Mr Roblès.
Roger Couvert en était bouche baie et donnait des signes d’essoufflement ?
Huit jours après la rentrée, Monsieur Roblès envoyait la vapeur et la locomotive se mettait en marche.
Morale : les gros mots : la Putain de ta Mère !
Après un inventaire complet des jurons les plus fréquemments employés, et nous avoir montré que la langue française possédait un synonyme pour chacun d’eux, il nous a écrit le mot Mère au tableau avec une grande majuscule. Ensuite, il nous a parlé de sa mère : veuve très jeune d’un maçon, malade d’un chaud et froid et la tuberculose a fait le reste ; obligée d’élever seule son fils en faisant des lessives pour gagner une misère : juste de quoi acheter du pain, des patates, du « bacalaou » pas tous les dimanches ! Et tous les jours, sardines au menu ; des pantalons retaillés dans ceux de son père qui n’en avait plus besoin là où il était. Les espadrilles effilochées. Il fallait économiser pour acheter les cahiers et les livres d’école. Refuser de se remarier pour ne pas imposer un parâtre à son fils. Ma mère n’était pas « ouna malla pouta « et celui qui osait l’insulter, je lui faisait payer très cher son offense, son injustice.
Toutes les mères sont aussi capables ! Réfléchissez ! Vous pensez qu’elles méritent qu’on les salisse les mamans ? Qu’on les traite de « pute » ?
La putain de ta mère a disparu de notre vocabulaire. Merci ! M’sieur !
La putain de ta race : Merci ! M’sieur !
La liste serait longue à développer maintenant, mais notre instituteur a pris son temps, il a gommé patiemment les salissures, nettoyé la cour de récréation des insultes infectes ; remis de l’ordre dans les consciences avec des mots, des mots qui font mal à ceux qui les reçoivent
Prochaine leçon : la calomnie…..
Prochaine : l’Alcool, le vin
Puis : Le tabac, la cigarette
Le tabac, la cigarette.
Un matin, après s’être installé à son bureau ; l’instituteur se mit à tousser, ensuite il a sorti un paquet de cigarettes Bastos, puis Il a passé en revue : la nicotine, le goudron, la fumée, l’oxygène, les poumons, le sport, les dents, le cœur, la circulation du sang. Tout çà agrémenté de quelques gravures horribles. Pour conclure, il nous a convaincu des effets néfastes du tabac en sortant du placard à cartes de géographie un document représentant un fumeur les yeux vitreux, la lèvre supérieure rongée par un gros bobo au travers duquel on pouvait distinguer qu’il n’avait plus de dents.
En fin, pour ne pas que ce travail reste lettre morte, il a accroché au mur de la classe le fumeur en face de l’ivrogne qui battait sa femme devant ses enfants installés à table devant des assiettes vides
Après la récréation, calculs appliqués du genre :
Un fumeur achète chaque jour un paquet de Bastos 1,30 francs,
Combien lui coûtera le bobo qu’il attrapera au bout de 25 ans (CM1) ?
Combien de kilos de viande sont partis en fumée sachant qu’elle vaut 7
Francs le kilo et qu’il y a 6 années bissextiles (certificat) ?
Les récréations.
Les ‘’ pignoles’’, les billes, la pelote fumée, la lecture, les sauts, la pelote basque, le jardinage, la photo, la lecture, constituaient avec le’’ foot’’et suivant les saisons les occupations prévues pendant les récréations. Nous étions libres, avec un responsable pour chaque activité. Le maître tournait d’un groupe à l’autre et nous étions ravis de le voir jouer aux billes avec nous, photographier les vainqueurs il enregistrait les scores pour le journal de la classe qui paraissait tous les quinze jours.
J’aimais les combats : Je me prenais pour le grand Maulns . Vu ma grande taille j’étais le cheval, François Sintas dit ‘Françoilou’ le cavalier : nous étions imbattables pour terrasser nos adversaires.
La bibliothèque, le jardinage.
François Sintas était le préposé à la bibliothèque : il enregistrait les prêts et encaissait le montant il était secondé par Lucien Florès : quelques sous percés ; il était très bon en calcul et très respecté malgré sa petite taille avec une écriture de secrétaire de mairie sa parfaite comptabilité lui valait les éloges du maître. Quand les rentrées le permettaient M. Roblès qui se rendait souvent à Tlemcen achetait quelques livres pour grossir le fond bibliothécaire.
Rigail, était le responsable du jardinage : son père agriculteur avait mis à la disposition de l’école des garçons une parcelle de terre labourée et fumée pour nous permettre de réaliser un magnifique potager : trois mois plus tard, nous vendions à nos parents de quoi cuisiner : le pot-au-feu, des pommes de terre rôties accompagnées de salades tendres comme la rosée, des artichauts à farcir : la ‘’cagnotte’’ grossissait à vue d’œil.
Le barrage de Béni-Badel
Notre ‘’ instit’’le lundi, nous racontait ses randonnées du dimanche avec des récits du genre : une histoire d’eau salée et de pénurie du précieux liquide à Oran ;Une affaire de houille blanche un projet qui devait donner à la population l’eau douce : la solution : le barrage de Béni-Badel : un travail de titan, un travail exécuté par des d’hommes dans l’Atlas et quels hommes : quelques uns y ont laissé leur peau en tombant dans le béton qui devenait leur sépulture. Car il était impossible d’arrêter la coulée .La poussière leur insufflait la silicose, le soleil et le froid la tuberculose ; la dynamite, les éboulements provoquaient des accidents graves.
Le ciment était acheminé par train, de la C.A.D.O.où il était fabriqué, à Médjahed ; les godets d’un téléphérique le transportait vers le barrage .Malgré l’interdiction, Les ouvriers utilisaient la ‘noria’ pour rejoindre leurs ‘douars’et leurs familles : le soir le téléphérique était stoppé et il arrivait que des malheureux passent la nuit dans les godets ou pire, le repos du dimanche à 20 mètres au dessus du sol sans boire ni manger prisonniers de l’engin.
Béni-Badel !un Eldorado !pas pour tout le monde; mais une source d’inspiration pour notre jeune instituteur qui obtint en 1943 avec le roman :’ Travail d’Hommes ‘le grand prix littéraire de l’Algérie. Le barrage y est pour chose
J’ai encore en mémoire la grande sortie que le Maître organisa. La cagnotte du jardinage de la bibliothèque et du théâtre servit à la location du car de Langlade pour nous conduire sur le chantier en chantant. Sur place la montagne résonnait du bruit des engins qui défonçaient ses entrailles.
Quelques années plus tard, ma mère m’offrit le bouquin je l’ai perdu, je l’ai cherché longtemps sans résultat. Au moment où j’écris ces lignes j’ai 76 ans et grâce à Danielle et Pierre de Rivas je peux le caresser. Merci chers cousins !merci Christian Puech !
La main à la pâte
Le jeudi après-midi E. Roblès invitait les plus méritants à :’ La main à la pâte’. Le travail consistait à reproduire des documents manuscrits ; je reconnaissais la belle écriture penchée du maître .Les textes étaient écrits au crayon à encre sur de grandes feuilles ; je connaissais bien ces outils car mon père les utilisait à la gare pour reproduire des documents. Dans une simple plaque à gâteaux garnies de pâte à polycopier, qui ressemblait au plateau des marchands de ‘ Calintiqua’, M. Roblès s’occupait de transférer son texte sur la pâte et nous étions chargés d’y appliquer délicatement des feuilles vierges sur lesquelles apparaissaient les écritures violettes ; il les classait au fur et à mesure dans des chemises. Aux vacances il devait porter ces papiers à Alger.
A l’heure du goûter, Madame Roblès nous servait un grand bol de café au lait accompagné d’un succulent biscuit de sa fabrication.
Avec le temps, compte tenu de la chronologie, de la date de publication de ‘Travail d’homme’, M. Roblès, avec des petits travaux d’enfants, a fait en sorte que nous devenions ‘ des Hommes’. Et probablement ses premiers collaborateurs bénévoles dans son projet de vivre de sa plume.
La pelote basque avec
Mme Roblès
Mme Roblès arriva à Turenne quelques semaines après la rentrée, elle était très pâle et convalescente ; je la voyais se reposer ; elle lisait au soleil dans le jardin mitoyen à la cour de récréation ; elle était très jeune et jolie Mr Roblès était aux petits soins avec elle.
Plus tard, après avoir mis en place les compétitions de pelote basque, il me désigna pour jouer avec sa femme afin de l’aider à se refaire une santé : le matin, avant la classe je devais jouer avec elle : elle se présentait en short ce qui me troublait au début. Puis elle reprit son travail à l’école des filles et le maître mit fin à mon plaisir : il conseillait à mon père de m’orienter vers les métiers du sport.
Mon père excellent gymnaste continua, longtemps après, à nous diriger Raymond et moi vers les salles de ‘gym’ où les barres parallèles, les anneaux, la barre fixe devenaient nos jouets favoris. Mes Parents avaient une grande estime pour ce Maître hors du commun qui nous a fait découvrir les « pélotaris et les chistéras » devant un fronton de fortune et les lectures ramenées du pays basque
Les Fables de la Fontaine , les lettres de mon mouln
Le Théâtre
Les récitations et surtout les fables de La Fontaine constituaient d’excellents exercices de vocabulaire, de dictions, de français, de morale, et surtout de découverte de la société ; M. Roblès organisa la classe en troupe de théâtre.
Pour une première : le Chat, la Belette, et le petit Lapin trouvèrent des interprètes aux physiques ressemblants aux animaux de la célèbre fable :C’est ainsi que le nez pointu de Couvert le désigna pour être Dame Belette ; que Sintas avec sa tête aérodynamique devint le Petit Lapin pas plus haut que trois pommes et je devais quitter le grand Maulns pour devenir Raminagrobis et endosser le manteau de fourrure de Mme Roblès....deux estrades superposée devenaient les tréteaux, et le bureau garni de petits rideaux,le terrier convoité par Dame Belette.
Aux trois coups, les rideaux frissonnaient, Couvert rentrait des coussins dans le palais du jeune lapin pendant que Sintas trottait sur l’estrade, ou broutait des feuilles de micocoulier fraîchement cueillies dans la cour de récréation
Alors, une voix anonyme attaquait la récitation :
_ Du palais d’un jeune lapin
Dame Belette, un beau matin
S’empara : c’est une rusée.
Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée......
Les antagonistes étant en place. Sintas retourne à son terrier sans oublier de faire un petit besoin à la manière d’un toutou : des spectateurs applaudissent !
Son terrier occupé, Sintas menace :
En tapant des pieds il entonne :
Ô dieux hospitaliers ! Que vois-je ici paraître ?...
Ô la, Madame la Belette,
Que l’on déloge sans trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du pays...
Un sujet de guerre !on palabre, on menace
Tout y passe :- la loi du premier occupant !
je suis l’héritier !
taratata !
etcetera !
Sans crier davantage
Passons devant Raminagrobis le juge ! Un expert dans tous les cas. Un chat faisant la chattemite
J’entre en scène emmitouflée dans la fourrure de Mme Roblès, cachant mes griffes dans les longues manches du manteau ; je récite d’une voix tremblante :
-Approchez, approchez mes enfants, je suis sourd, les ans en sont la cause....
Les contestants s’approchent ; je jette des deux cotés mes griffes en rugissant et croque les plaignants.
La morale
Ceci ressemble fort aux débats qu’ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux Rois
Prohaîne représentation : les animaux malades de la peste où j’interprétais le Roi Lion.
Notre répertoire au point, nous avons traversé la place du village pour donner quelques représentations devant les filles : que du bonheur !
La Dictée, le pain sec
Oui ! Dictée avec ses ‘Â Cotés’ : écriture, majuscules, minuscules, la ponctuation, les points sur les i, les accents, les accords, les doubles consonnes, les cédilles, les mots d’usage , les noms propres, les homonymes.....le tout chronométré. Et pour terminer les questions : définitions des mots et expressions, analyses grammaticales, analyses logiques....Un marathon avec à l’arrivée un coup de règle sur le bureau : Il fallait poser le porte -plume instantanément
la correction !
les résultats : la meilleure note : un timbre la semeuse 10 centimes
le second : un timbre la semeuse 5 centimes
Les sanctions : au dessus de 5 fautes recopier la dictée pendant la récréation.
: LES ENFANT ... sans s : je suis resté au pain sec
Sintas, chargé de mission au pré de ma mère est revenu avec un goûter que m. Roblès a remplacé par un solide croûton de pain que j’ai mangé en pleurant
Depuis ce jour j’ai gagné en concentration et j’ai obtenu le « Sacafitat » et bien d’autres examens ! merci ! M. Roblès.

39- 18. Les vergers , la cagarette

18. Les vergers , la cagarette
Nous jouions aux gendarmes et aux voleurs. C’était de la fiction, mais quelques fois il nous arrivait d’être des chapardeurs particuliers. En effet, le fils du propriétaire était des nôtres : on détalait au signal :
Voilà mon père ! Criait Rigail à ses invités.
Nous avions les poches pleines, suivant les saisons, de cerises, de nèfles ou de poires. Ces ripailles surchargeaient nos intestins.
La consommation exagérée de nos butins, nous condamnait à la cagarette, comme disait Mémère Roquefère avec son accent de la rue Boutry, à droite du vieux port, derrière la mairie de Marseille, cet accent et ce vocabulaire que le monde entier nous envie, que les clients du café de la gare venait déguster avec les « kémias » et l’anisette. Notre grand mère faisait la cuisine et le spectacle comme une marionnette derrière son comptoir : avec un âne, un chien, un client, Jules et Pauline, Marcel Pagnol aurait pu la faire entrer à l’académie française la « cagarette ».
Quand le phénomène prenait une tournure plus inquiétante, mémé Jeanne nous conduisait chez le docteur Dornier qui assurait les consultations deux fois par semaine à la mairie. Il venait de Marnia, avec les médicaments d’urgence ; autrement il fallait les faire venir de Tlemcen par le train. Notre mère, avait dans sa pharmacie : de la teinture d’iode, de l’aspirine, du lactéol, de la quinine, de l’huile goménolée, de l’arnica ; elle avait aussi de la moutarde à enveloppements et des ventouses. D’un regard elle nous oscultait
Oh ! Toi tu n’es pas bien ! Viens voir « manman » !
Ouvre la bouche ! Tire la langue ! Regarde-moi dans les yeux !
Camille je te dis que le petit il est pas bien !
Jeannette ! Je vais le frictionner au pétrole
Camille, à voir si tu lui fais un « visicatoir !
Il n’y avait pas de « sécu » et les médecins soignaient gratis la plupart du temps : Ils avaient la vocation, le feu sacré en ce temps là, ils faisaient leur tournée à pieds ou tout au plus à vélo.
Quand la colique nous prenait, nous organisions des compétitions inattendues : c’était à celui qui ferait le plus gros tas de ses déjections, ou le plus grand cratère en pétant sur du sable : Bélélé Rodriguez et son neveu Para Marcel, qui avaient le même âge, étaient les plus performants.
Le bélélé en question avait tout du saltimbanque : il possédait un petit singe surnommé « quiqui ». L’animal et son maître avait un air de famille : le même museau pointu, les oreilles en feuilles de choux plantées très bas, le regard vif et le geste rapide. La vie en commun a fait qu’ils avaient déteint l’un sur l’autre ; le geste et le regard étaient leurs moyens de communications. Pendant les vacances Quiqui et Bélélé étaient inséparables. Il promenait son partenaire à vélo agrippé au guidon, ou dans une caissette ficelée sur le porte bagage. Suivant son humeur, Quiqui faisait un numéro d’équilibriste : il passait de l’avant à l’arrière par le dos de Bélélé ; arrivé à destination, il applaudissait : un vrai cirque ! Nous étions ravis par ses grimaces, nous étions persuadés qu’il riait de ses exploits.
Pendant les parties de billes, sous les platanes, le singe restait relié au vélo par une longue chaînette, il en profitait pour jouer dans les branches. Au cours de ses acrobaties sa queue lui servait de sécurité. Il lui arrivait de rater un « loopings », il se retrouvait dans la poussière, alors il se calmait, et regardait Bélélé avec l’air de lui demander pardon.
Pas question de s’approcher de Quiqui, nous étions méfiant à son égard et gardions nos distance quand il grimaçait en nous montrant ses dents, ou quand il s’agitait en poussant des cris stridents dès qu’un chien trop curieux s’approchait de ce qu’il croyait être un congénère. Alors Bélélé faisait semblant de ramasser une pierre en gueulant :
Aller « kché » ! Putain de chien ! Il veut me « niquer » Quiqui !
Le cabot, habitué à ce genre de « rebiffa des » détalait et notre ami retrouvait son calme.
Chacun apportait des friandises à la mascotte : Il adorait les cacaouettes qu’il saisissait avec méfiance prêt à s’enfuir ou à mordre : il les décortiquait prestement en crachant la peau.
Nous fumes très tristes le jour où Bélélé nous annonça que Quiqui avait disparu.

lundi 14 juillet 2008

38 -17. L’aigle




Les Hyènes ! Parlons en !
Des bergers en guenilles, gardant de maigres troupeaux : Quelques chèvres, 2 ou 3 brebis, une vachette qui ressemblait plus à un porte – manteau qu’à un bovin, le tout encadré par un chien famélique qui aboyait en réclamant du pain.
hops ! hops ! hops ! qui veut dire : du pain !du pain ! du pain ! en arabe
Ces jeunes malheureux était à la solde du Caïd : ils gardaient les animaux du notable surnommé l’Aigle : Au village on l’appelait ainsi parce qu’il habitait sur les hauteurs une maison avec une tour, le tout accroché à la falaise comme le nid d’un rapace. Sa demeure surplombait le village, la vallée et la plaine ; il paraît que par temps clair, de la haut, on pouvait y voir la mer. Bref ! L’Aigle faisait jaser : il possédait toute la montagne ; il avait quatre femmes, une vingtaine d’enfants et plusieurs frères de l’âge de ses enfants. Il faisait des apparitions au village pendant les cérémonies au monument aux morts. Il était grand, hautain, mystérieux, le regard affûté comme les serres de son pseudonyme. Il s’intéressait beaucoup aux femmes blanches, on prétendait que son tableau de chasse n’était pas négligeable. Il portait majestueusement la djellaba en poils de chameau. Il arborait une batterie de décorations pour faits de guerre dans l’armée française pendant la pacification du Rif au Maroc ;Il avait la main mise sur un millier de bêtes, sur les charbonniers et quelques centaines d’hectares de forêt : chênes liège, caroubiers, oliviers, arbousiers : un vrai seigneur, une cour et des cerfs en guenilles et ‘boumentelles.’. Il avait la réputation d’être une fine gâchette : quelques privilégies avaient l’autorisation de chasser le sanglier sur ses terres. Le « halouff » ne l’intéressait pas. Le grand père Forêt braconnait le cochon avec la bénédiction du Caïd, et tout l’hiver nous mangions du confis de sanglier

dimanche 13 juillet 2008

37- 15. Le trou du Négro


L’été arriva très vite. Notre père remit en état les vélos. Nous renouvelâmes les estaques : A ce propos, nous étions experts pour façonner des manches en bois d’olivier.
La recette ? :
Cueillir une jeune branche d’olivier en Y avec un V bien symétrique et régulier
A l’aide de fil de fer, et d’une cale, façonner le V pour en faire un U, ligaturer à 8 centimètres
Passer au four afin de sécher le bois vert, le séchage est à point dès que le bois change de couleur
Réaliser à la lime triangulaire 2 entailles au point de fixation des élastiques
Découper dans une chambre à air de camion les élastiques en bandes de 1 centimètre de large sans créer d’amorce de cassure
Récupérer dans la poubelle du bourrelier de madame Lévy une chute de cuir souple
Découper le cuir en forme de haricot, ménager 2 trous pour fixer les élastiques, etc. ….etc.
Le tout assemblé constituait une arme redoutable pour les volatils et les chiens errants.
Ainsi nous étions prêt pour sillonner la campagne, les rivières, les vergers et même viser les volailles en liberté. Nous profitions de l’heure de la sieste pour mener à bien nos expéditions jusqu’à la tombée de la nuit ; c’est alors que nous mettions à profit l’obscurité pour chasser les moineaux à la lampe électrique : nos journées étaient bien remplies.
Souvent, en pleine chaleur, au mois d’août, nous allions nous baigner à la rivière : un affluent de la Tafna ; plus exactement, nous allions au trou du Négro .
Le trou en question avait sa légende. Celle –ci excitait notre curiosité, nos angoisses et notre témérité. Le site portait le nom de celui qui après un plongeon ne retrouva plus jamais la surface et le ciel bleu. On racontait qu’il était mort de congestion après avoir manger une pastèque avant la baignade ; on racontait aussi qu’il avait été aspirer par le gouffre, et qu’il était resté coincé sous les roches creuses : celles-ci résonnaient sous nos pas ; enfin, certains parlaient de « djenouns ». ET là, mystère, c’était la confusion : le diable, les revenants, les morts, le purgatoire, le négro, l’abbé François, les fantômes hantaient nos conversations et nos nuits.
On allait malgré tout au trou du Négro. Les plus hardis et ceux qui savaient bien nager s’y baignaient. Le cadre était splendide : d’énormes blocs, arrondis par l’érosion et les crues servaient de cadre et de plongeoir naturel. Le trou était profond, l’eau transparente ; des végétations généreuses et des vignes sauvages s’accrochaient aux caroubiers et aux oliviers centenaires. Toute une faune y vivait : les merles, les palombes, les pigeons, ramiers, y allaient de leurs sifflements et de leurs roucoulements. Les grenouilles croassaient dans les joncs et les lauriers roses, prêtes à plonger à la moindre alerte. On se prenait pour Tarzan, il n’y manquait que Tchita et les crocodiles, nous étions les rois de cette jungle : la vallée résonnait du cri de Tarzan que l’on imitait à merveille. Avec nos lances- pierres on s’exerçait sur les grenouilles et les libellules en vol stationnaire, on se baignait malgré les serpents d’eau. Les « yaouleds » des douars voisins nous observaient à distance en surveillant leurs chèvres. Ils en profitaient pour se livrer à quelques rapines à nos dépends : je du mettre une croix sur ma chemisette du dimanche, Lucien Florès y laissa ses sandalettes et Rigail son pantalon. Tout cela finissait en affrontement à la fronde de berger : celle –ci claquait comme des pistolets, et les pierres sifflaient sur nos têtes. Très dangereux ces combats ; mais nous n’avions pas peur, on s’exprimait en imitant les Indiens des westerns :
Lions attaquent Hyènes avant coucher soleil !
Nous étions les lions, les justiciers.

samedi 12 juillet 2008

36- 14. Les bonbons de Georgette la confirmation

Nous étions turbulents, et pour récompenser les moins bougeurs, Georgette attribuait aux plus sages, aux plus méritants, un galet de Lourdes : elle allait chercher les bonbons dans la sacristie, les distribuait au compte goutte. La jolie boite décorée de fleurs, et surtout son contenu, excitaient notre convoitise. Un sentiment d’injustice nous étreignait quand Georgette retournait dans la caverne d’Ali Baba planquer son trésor ; et bien entendu, un commando organisa un casse sur les friandises de Georgette :
Marcelin Facoundo détenait les clés de l’église puisqu’il était chargé de l’angélus et qu’il se destinait au séminaire. Ces responsabilités ne lui donnaient aucune autorité sur nous, il avait notre âge ! Alors, un jour, pendant qu’il carillonnait l’angélus de 6 heures, deux équipes se partagèrent le travail, l’une faisait diversion, l’autre investissait la sacristie : miam-miam les bonbons.
Georgette fit son enquête !
Le coupable ?
Les absents ont toujours tort !
Raymond qui était pensionnaire à l’E.P.S. à Tlemcen était le coupable idéal, Georgette eut vite fait de nous confondre, elle nous tira du purgatoire et nous jeta en enfer. Le plus difficile fut d’aller à confesse et de trouver les mots pour demander l’absolution à l’abbé François.
Le jeudi après midi, Raymonde Cassé nous apprenait des bouts de messe en latin, des cantiques, en présence des filles. L’ambiance alors changeait. Le cœur de chacun battait pour sa chacune. C’était l’occasion de faire le beau, le gentil : la mixité avait ses avantages. On reluquait la travée des filles espérant un regard, un sourire. Les plus hardis échangeaient des billets doux : on y trouvait le plus souvent un cœur dans lequel s’entrelaçaient nos initiales. Jeannot Bontaz et Raymond Martinez étaient en compétition pour la conquête d’Hermine Florès, mais celle-ci les ignorait. Ils se battaient à pure perte.
Nous fîmes la communion en culotte courte car les costumes coûtaient trop cher. L’évêque d’Oran se déplaça pour la Confirmation : devant L’autel, nous prononçâmes notre serment en ces termes :
« Je renonce au démon, à ses pompes et à ses œuvres
Je m’attache à Jésus, à Marie pour toujours »
Il y eu un petit lunch. A cette occasion et pour la première fois, je fis connaissance avec la griserie des boissons alcoolisées. Je me suis aperçu de rien ! En fait, je bafouillais des réponses incohérentes à ma mère qui s’inquiétait de voir ma tête rouler sur mes épaules :
Mais il est saoul ! qu’est ce que j’ai fait au Bon Dieu ?
Elle me frictionna avec de l’eau de Cologne et m’envoya au lit.
L’évêque rembarqua dans une berline noire avec sa suite empressée et froufroutante au milieu de la foule qui n’en finissait pas de baiser sa bague et de se prosterner en génuflexions

36- 13. Le catéchisme avec Georgette, la confirmation






Nous allions à l’école, nous allions aussi au catéchisme, à la messe et quelque fois aux vêpres.
Georgette se chargeait de nous préparer à la première communion : de onze heures à midi, rendez-vous sur les bancs de l’église trois fois par semaine et le jeudi après midi pour les chants liturgiques avec Raymonde Cassé.
Georgette devait avoir beaucoup de patience avec nous : ses garnements. On la surnommait Marie Antoinette puisque son postérieur ressemblait à celui qui remplissait les crinolines au temps des rois. Elle était raide comme la justice dans son corset à baleines qui avait du mal à contenir toute son anatomie. Elle se donnait des airs de Pompadour, avec ses cheveux et ses anglaises. Elle était sûrement royaliste avec son nez enfariné de poudre blanche.
Elle nous apprenait les prières : le notre Père, le je vous salue Marie, le je crois en Dieu et bien d’autres encore.
On ne se passionnait pas pour les questions du genre :
Qu’est ce que Dieu ?
Qu’est ce que l’Eucharistie ?
Qu’est ce que le Saint-Esprit ?
Par contre, le confessionnal nous faisait peur à l’idée que nous étions obligés de raconter nos bêtises ; alors, nous inventions des formules laconiques qui voulaient tout dire et pas grand chose. Après l’acte de contrition et la pénitence nous étions lavés de nos péchés, nous étions soulagés. Surtout quand l’abbé François nous donnait L’absolution en nous disant :
Allez en paix mon enfant ! Nous étions purs, mais pas pour bien longtemps.


Nous fîmes la communion en culotte courte car les costumes coûtaient trop cher. L’évêque d’Oran se déplaça pour la Confirmation : devant L’autel, nous prononçâmes notre serment en ces termes :
« Je renonce au démon, à ses pompes et à ses œuvres
Je m’attache à Jésus, à Marie pour toujours »
Il y eu un petit lunch. A cette occasion et pour la première fois, je fis connaissance avec la griserie des boissons alcoolisées. Je me suis aperçu de rien ! En fait, je bafouillais des réponses incohérentes à ma mère qui s’inquiétait de voir ma tête rouler sur mes épaules :


36- 12. L’âne et la petite bourrique


En ce qui concerne le parking, il y avait la remise de madame Lévy au fond d’une cour : une écurie 3 étoiles mitoyenne à la maison des Sintas, sous le prétexte d’aller chez Françoilou on se retrouvait dans la remise à organiser des rencontres amoureuses entre les pensionnaires de madame Lévy : ainsi, au cours d’un jeudi printanier, une jeune ânesse qui avait ses premières chaleurs, se retrouva sous les sabots d’un âne énorme qui transperça la pucelle qui en perdit connaissance et se retrouva comme morte sur la paille du lit conjugal : mata ! Sauf qui peut ! Nous étions persuadés que la petite bourrique avait succombé à l’épreuve. Sur le coup de midi, inquiets, nous sommes retournés à la chambre nuptiale où notre victime avait retrouvé ses esprits, son équilibre sur ses 4 pattes et semblait heureuse de son sort ainsi que d’un espoir de maternité. Nous étions heureux ! Nous ne voulions pas du mal à la gentille petite ânesse.

35- 11. Les courses à bourricots

Le jeudi, était jour de marché ; il n’y avait pas classe. Nous étions libres, les indigènes descendaient au village y vendre leurs productions, leurs cueillettes, leurs chasses : légumes, caroubes, olives, volailles de toutes sortes, moutons, perdreaux, lièvres. Ils arrivaient tôt le matin avec des choiris pleins à craquer. Ils garaient leurs animaux ânes moutons, mulets, à l’entrée du village ; ce parking était notre lieu de prédilection ainsi que la remise de madame Lévy ; nous y trouvions des amusements à la mesure de notre turbulence.
D’abord, on choisissait un âne à notre taille, il y avait un choix considérable ; après un essai sur son humeur et ses aptitudes pour le trot ou le galop, et pour répondre aux directives d’une badine, nous partions dans les rues adjacentes organiser des courses de bourricots : de véritables corridas ; d’abord sur les quadrupèdes aux grandes oreilles qui n’étaient pas toujours coopératifs, ensuite, sur nos propres jambes, afin d’éviter de rendre des comptes aux propriétaires ; ces derniers, en fin de matinée, cherchaient leur âne afin de regagner le «douar » ; certains le prenaient en riant, mais d’autres plus agacés nous menaçaient de leur bâton : la matraque, ou même leur couteau
Comme ils avaient raison ! .mais les menaces nous passaient par-dessus la tête et le jeudi suivant nouvelles corridas.

vendredi 11 juillet 2008

34- 10. Pépère trouve un travail

Pépère, qui avait été jusque là un grand-père distant, pour ne pas dire indifférent, commença une carrière dans l’art d’être grand-père et Miquette devint tout naturellement sa chou- chou ; en fait elle était la chou- chou de toute la famille. Mais le grand-père, lui, découvrait une véritable vie de famille, à l’écart du bistro et des plaisirs faciles ; et puis il y avait la photo de Pauline le soir qui lui demandait des comptes : il prit conscience, les difficultés du pain quotidien, mais aussi l’amour, la solidarité, la gaieté, la générosité du foyer furent le terreau de sa conversion ; dès lors, il s’occupa du potager, des poulaillers, du bois, des arbres fruitiers et puis il trouva un travail avec la complicité de son gendre : il gagnait son argent de poche, il fumait de moins en moins. De temps en temps il revenait du boulot via le café de Marcovitch : le rendez-vous des beloteurs, des joueurs de foot, on racontait même des joueurs de poker et des buveurs d’anisette.
Le grand-père comprit que nous avions besoin de surveillance et d’occupation pendant les vacances. Il fit de Raymond un garçon de café, puisqu’il avait ses entrées chez Marcovitch le cafetier. Je revois mon aîné avec un tablier bleu à grande poche où il fourrait son décapsuleur et ses pourboires.
Il m’amenait à son boulot et il m’affecta à la bascule pour peser les sacs de blés pendant qu’il notait les poids sur un carnet à souches roses ; il parlait parfaitement l’Arabe, avec autorité, mais toujours avec justice, ce qui lui valait l’estime des indigènes. Il inspirait le respect avec sa corpulence et sa voix de sentor. Les Arabes l’appelaient le Marlem.
Mon grand-père devint mon maître d’apprentissage, et il prit le temps de m’apprendre à utiliser la bascule, à faire la tare, à régler le balancier, même à peser juste avec une balance fausse ; autant d’opérations qu’on ne nous avait pas apprises dans la classe du certificat d’étude.
Le jardin de la maison Hernadez; Pépère travaille le jardin, élève des poussin, des lapins, des perdreaux plante des chrysanthèmes fabrique un portique

dont Janine profite Soigne les arbres Travaille pour le maire Mr Barthe et le soir je suis sûr qu'il sourit à la photo de Pauline la tête haute

33 - 9.Miquette vient au monde


Ces événements marquèrent l’histoire du monde, mais à Turenne , ils passèrent inaperçus : nous prenions des vacances anticipées. Nous étions plus préoccupés par un heureux événement qui arrondissait la taille de notre mère et nous valait de la part des copains : ‘’ta mère est tombée sur un clou rouillé ‘’ ou ta mère est en cloque’’.
Et un beau matin, l’heureux événement se produisit ; une jolie petite fille vit le jour : notre mère, avec beaucoup de gaieté, accoucha à Tlemcen du coté du Méchoir ; Raymond avait 13 ans, j’avais 11 ans et Jeannine 8 ans : quand on a annoncé notre arrivée à la clinique, la sage femme dit à notre mère :
Vous avez la visite de vos frères ! ! ! Notre mère était jeune, nous étions costauds. C’est Camille qui était fier et comblé par sa descendance.
Dans son empressement et sa joie, notre père se rendit à la mairie faire sa déclaration à l’état civil : sur place, il ne se rappela plus du prénom que Jeannette avait choisi : Nicole ou Monique ? Il donna Monique, ce n’était pas le bon. On en rit encore !
En définitive, on l’appela ni Monique, ni Nicole : pour nous c’était Miquette.
Dans la foulée, notre père fut démobilisé : 4 enfants à charge Sans regret, il rendit son paquetage, ses gamelles et son bidon, ses bretelles, ses molletières et son tromblon. Et Camille redevint le facteur intérimaire des C.F.A. ; en clair des chemins de fer algériens, payé 800 francs par mois au 5° échelon.

jeudi 10 juillet 2008

32- Pétain signe l'Armistice ;appel du 18 Juin

Prpagande sur les lettres

Enfin ! L’entracte ! Maréchal te voilà, le sauveur de la France ! Il arrêta le massacre ou plutôt l’humiliation. Juin 40 ! L’armistice !
Liberté ! Egalité ! Fraternité ! Ah non !
Travail ! Famille ! Patrie ! Ya ! Ya !
La nouvelle devise arrangeait bien tout le monde : sauf la grande Zora.
Les événements se précipitaient, et pour respecter la chronologie, j’ai consulté des archives, un livre d’histoire et le livret de famille de mes parents : le 14 juin au matin les troupes allemandes défilent autour de l’arc de triomphe et sur les champs Elysées
Le 18 juin, un officier français, peu connu du grand public, le général de Gaulle réfugié à Londres, lance un appel invitant les armées françaises à refuser l’Armistice et à venir le rejoindre pour continuer le combat :
Sur les ondes : Nous avons perdu une bataille
Nous n’avons pas perdu la guerre !


Prélude à une nouvelle émission : Boum ! Boum ! Boum ! Ici Londres ! Les Français parlent aux Français.

31-. Nous tricotons, Camille est mobilisé

. Nous tricotons, Camille est mobilisé

7. Nous tricotons, Camille est mobilisé
Une nouvelle rentrée des classes eu lieu avec deux mois de retard. Madame Amouyal et mademoiselle Lamassour remplacèrent les titulaires partis au front La première disait avoir un rhum chronique ; en fait elle pleurait à longueur de journée son mari mobilisé du coté de Verdun. La seconde, célibataire pulpeuse de 22 ans jeta son dévolu sur le fils du maire et entra en concurrence avec Raymonde Cassé, jusque’ au moment où le dont Juan rejoignit le Sixième tirailleur dans le Pas de Calais : appelé pour défendre la Patrie.
L’hiver fut vite là, la troupe avait froid. En travaux pratique la directrice organisa un tricotage général : des cache- nez pour nos soldats ; C’est à cette occasion que j ‘appris à monter des mailles, à tricoter sans bouger les aiguilles, le point de mousse et le point de riz. J’ai réalisé un cache-nez de 50 cm de large et 2 mètres cinquante de long Les cache- nez ne partirent jamais pour le front : c’est mon père qui profita du mien : avec il s’enroulait le cou puis deux fois la poitrine et ce qui restait, il le fourrait dans son pantalon.
Bref ! Madame Amouyal s’occupait de son bébé aux récréations qui n’en finissaient pas. Elle nous apprenait les conjugaisons et les analyses logiques : c’était son dada. Personne n’y a jamais rien compris tant elle était confuse dans ses explications sauf Gustave Serrès qui bénéficiait du soutien de sa sœur, titulaire du brevet élémentaire.
Cependant elle était très ordonnée, elle passait le plus clair de son temps à ranger le matériel pédagogique ; elle nous demandait de couvrir les livres de bibliothèque avec du papier bleu ; je crois bien qu’elle craigne la visite de l’inspecteur car à cette époque, il comptait les plumes sergent major et les boites de craie. Pour faire la poussière et mettre de l’ordre dans ses placards, elle grimpait sur un escabeau en bois, les uns lui passaient les mesures de volume, les éprouvettes et les cornues ; les autres les têtards en conserve dans le chloroforme, la balance Roberval ou la chaîne d’arpenteur ; Personne ne voulait s’occuper du crâne jauni par le temps sauf Galindo qui avait l’habitude de dénicher les moineaux dans les cyprès du cimetière. Certains inoccupés par ce chantier pas très passionnant, se baissaient pour regarder sa culotte : j’étais de ceux la ; nous avions entre 10 et 14 ans. : L’âge où l’on se sent pisser.
Quant au programme scolaire, pas de problème de robinets ni de trains qui se courent après. Je suis certain qu’elle était allergique aux calculs quels qu’ils soient. Elle ne savait jamais choisir entre pierre carrée et deux pierres pour calculer la surface ou la circonférence d’un bassin. Monsieur Garcia nous l’avait bien appris lui. Ne parlons pas des fractions ou des conversions entre centilitres et millimètres cubes c’était le naufrage général, même Gustave Serres nageait avec sa béquille de sœur. Au certificat d’étude, le palmarès : 3 reçus dont 2 redoublants et Gustave, 10 recalés dont je faisais partie ; C’était la débâcle, une de plus, ou mauvais présage.
L’hiver 39-40. La débâcle. Turenne sous la neige
Pendant, que la troupe avait froid. L’hiver fut très rigoureux. Aux actualités cinématographiques, L’armée en capote et bandes molletières tapait des pieds devant des feux improvisés, elle pataugeait avec les chevaux dans la boue et la neige tirant et poussant les canons 75.
Des vols de corbeaux attendaient la bataille. Leurs ancêtres avaient accompagné la grande armée durant la campagne de Russie. Les corbaques se préparaient au festin : la chaire à canon mijotait à grand froid, ou à petit feu. La ligne Maginot devait dissuader, pulvériser l’envahisseur. L’ennemi l’ignora, il passa outre, par dessus, par coté, avec ses stukas et ses blindés. La cinquième colonne avait bien préparé le terrain, pendant que chez nous le ministre des loisirs organisait des fêtes, des banquets aux frais de la princesse. Sur la cote d’Azur, les casinos, les roulettes en avaient le tournis. Le champagne coulait à flot sous la bataille de confettis.
Les anglais, rembarquèrent à Dunkerque leurs Tomis dans une pagaille meurtrière. Les Allemands continuèrent de débouler sur la Loire : la guerre continuait. Tous les moyens étaient bons pour fuir L’envahisseur : les pataches, les carrioles, les guimbardes, les bicyclettes, les canassons, les poussettes, les godillots. La France perdit la bataille sans la livrer : Hitler était trop fort. Même Mussolini se permettait de franchir les Alpes. Coup de poignard dans le dos disaient les purs, les Francs ; Comme si la guerre pouvait se faire sans armes, sans mort, sans prisonnier, sans traître, sans héros, sans vaincu.
Un matin, le village se réveilla sous la neige. Le froid traversa la Méditerranée, et s’abattit sur L’Atlas. Ce fut notre baptême, nous n’avions jamais vu la neige. Quel spectacle immaculé, quel silence blanc et feutré ; ce fut merveilleux, la fête pendant 8 jours dans le cœur des enfants. Tous les jeux possibles y passèrent : bataille de boules de neige, bonhomme, glissades, construction de luges, et puis le temps se radoucit, la neige disparu, les oiseaux reprirent leurs activités de printemps ; les luges ont laissé la place aux carricots à roulements sur la cote de Barbata. Nous ne pensions plus à la guerre, nous devions retourner sur les bancs de l’école et les analyses grammaticales de Madame Amouyal. Au certif, 13 fautes ¾ en orthographe pour une dictée de 8 lignes La directrice disparut comme elle était arrivée. Je crois qu’elle fut remerciée : les juifs étaient radiés de la fonction publique. Avec le temps j’ai compris pourquoi elle avait toujours un mouchoir humide à portée de la main et les yeux rouges.
7(bis) Camille est mobilisé à Tlemcen
Jusque là, la guerre nous avait épargnés
. Cela ne dura pas, Camille avait échappé à la mobilisation générale en 39 : il avait été mobilisé sur place…
La situation était telle que des renforts furent demandés à L’empire colonial et notre père fut appelé au 6° tirailleur à Tlemcen. Il était souvent au village dans un uniforme pitoyable : des bandes molletières qui laissaient voir ses mollets ou ses chaussettes, une chemise élimée trop grande, le cou blanc rasé dans un col en entonnoir, lui donnait l’allure d’un condamné à mort préparé pour la guillotine. Il ressemblait aux réfugiés espagnols, fuyant Franco, qui passaient à Turenne quelques années plus tôt, tout ficelé dans des pansements en lambeaux, mendiant un morceau de pain ou un verre d’eau. La déception fut grande pour toute la famille : Nous attendions un marin en col blanc vêtu d’un pantalon à pattes d’éléphant, coiffé d’un bonnet à pompon rouge, comme sur l’album photo de ses 20 ans quand il servait à Toulon en 22 du coté de Saint Mandrier.
L'Orage rentre à Toulon Comme Camille en 1922 pour faire son Régiment. Le feuilleton
continue en 1940 à Turenne

mercredi 9 juillet 2008

30-6. La buvette à Mohan

Mohan, infirme de la bosse du commerce, comme la plupart de ses coreligionnaires, installa sur le quai de la gare un débit de boisson, dans un W C désaffecté. Il y débitait du gros rouge que les soldats de passage lui achetaient 30 sous le litre. Cela leur permettait d’oublier la guerre. Il y avait en permanence un train en gare : Turenne était une gare de croisement, sur la ligne Oran Oujda.
Comme Mohan s’occupait d’avantage de sa buvette que du panier de l’intérimaire, pépé Camille du mettre de l’ordre dans son programme de, vu que le dit panier manqua plusieurs fois le train de 11 heure : il lui envoya deux taloches et un grand coup de pied au cul, qu’il en perdit son turban de Maharaja. Ce fut le moment de découvrir une gale chronique qui rongeait son cuir chevelu et ses oreilles.
Mohan ne perdit pas le Nord : il embaucha du personnel, et acheta pour une poignée de figues, un bourricot et un choiri.
Et qui il embaucha ? D’abord Raymond, puis moi-même. Nous étions chargés de servir les soldats. Mohan assurait l’approvisionnement en vin tel une « noria » : les bombonnes descendaient vides jusqu’à la cave coopérative et remontaient pleines vers la buvette. Il nous récompensait en nous payant le cinéma, et en nous prêtant son âne pendant les heures creuses.
Le standing de Mohan allait en s’améliorant, d’autant plus qu’il étendit son commerce aux cigarettes Bastos et aux savonnettes de contre Bande.
Ce commerce improvisé dura jusqu’à la bataille de Narvik et continua jusqu’au moment où les stukas déferlèrent sur la Belgique : le front se tournait vers l’ouest : Les convois ne sortaient plus d’Afrique par Casablanca, mais par Oran, Alger, Bizerte, direction la ligne Maginot ; et les trains se croisaient toujours à Turenne à la grande joie de la petite main qui manipulait de grosses liasses de billets.
La guerre ne devait être qu’une formalité ; Avec leurs empires coloniaux, leurs marines, le lebel, nous allions donner une leçon aux Boches, les Anglais et les Français ne feraient qu’une bouchée d’Hitler et de ses casques à pointe : les Chleuhs comme les appelait mon grand-père.

lundi 7 juillet 2008

29- La cure à Ax-Les-Thermes, la Mobilisation

La cure à Ax les Thermes interrompue nous quittons Oran sur le Ville D'Alger
En septembre 1939, la cure thermale du être abrégée : mobilisation générale, retour en catastrophe pour Turenne : un télégramme des chemins de fer ordonna à mon père de rejoindre son poste sans délai. Motif : déclaration de guerre. Nous faillîmes rester seuls sur les quais de la Joliette à Marseille vu que le télégramme ne mentionnait que Camille Martinez. Je ne vous décris pas l’affolement, les pleurs et les palabres de notre mère. Elle qui ne savait pas voyager seule, avec trois enfants, qui n’avait jamais rempli un permis. Enfin les choses s’arrangèrent
La traversée eut lieu sur un cargo : le gouverneur Général Jomard plein à craquer. Le rafiot leva l’ancre à 11 heures, l’heure où le Mistral se lève. Après avoir doublé le château d’If et perdu de vue la bonne Mère nous essuyâmes une tempête dans le golfe du Lion. Le chapeau à fleurs de ma mère passa par dessus bord, pendant que l’équipage donnait l’ordre de descendre dans les cales et y balançait les valises par les écoutilles. Une épidémie de mal de mer se propagea dans les cales ; beaucoup de marins y succombèrent tant l’atmosphère était irrespirable ; papa Raymond et moi avons tenu la mer jusqu’à l’heure du repas ; sur les tables zinguées se mêlaient victuailles et vomissures il faut manger, ne pas se coucher et avoir quelque chose à vomir : mangez ! Manger ! Nous répétait notre père. Nous abandonnâmes sa théorie après les deux allers retour du repas. Sorti du golfe et du tangage, un méchant vent d’est imprima au bateau et à nos estomacs un horrible roulis.
Nous débarquâmes à Alger parfumés au dégueulis, livides, le roulis , dans les jambes , déshydratés, réclamant à boire, Papa portait Janine, maman sa boite à chapeaux vide et des coliques qui la tenaillaient ,un porteur qu’il fallait surveiller s’occupait des valises. Nous avions la consigne de l’encadrer et de lui faire un placage … nous n’avions pas la forme pour assurer de telles responsabilités : mais nous étions costauds pour notre âge et ce jeu nous excitait : papa nous disait en bêguaiyant : - ou-ou-ouvrez les quinquets ! Cela voulait dire : surveillez le !
Mon père dégota une chambre à l’hôtel du square près du théâtre à droite du Tantonville pas loin de la gare. Sur les ânes du square Bresson nous eûmes droit à quelques balades en attendant un train en partance pour Oran et Turenne.
En gare d’Alger, des militaires partout, des convois, des chevaux, des automobiles, des tirailleurs, des sénégalais, des marins. Mon père profita de nous montrer l’Amirauté où il avait fait une partie de son régiment comme fourrier.
Un convoi militaro civil nous ramena au bercail à la vitesse de sécurité, s’arrêtant à toutes les gares.
Le retour dura trois jours. A toutes les gares on croisait des trains chargés de drôles de véhicules à chenilles ; Mon père nous expliqua : ce n’est pas un tracteur c’est un tank, un char d’assaut, c’est avec ça que les poilus ont gagné la guerre de 14. En fait les trains transportaient plus de cuisines de campagne, ce qui nous valait des commentaires du genre :
- L’intendance doit suivre ! Ou bien :
- Les Français n’oublieront pas leurs biscuits et leurs boites de singe
Les soldats mangent du singe papa ?
Mais non les enfants c’est du bœuf d’Australie, du corned beeff !
Et pourquoi on appelle ça du singe ?
C’est de la politique ! Ça permet aux vignerons français de vendre leur bistrouille à 9 degrés, alors que le vin algérien à 15 degrés est jeté au Chélif…Vous comprendrez plus tard !
Je crois que mon père ne comprenait pas tout lui aussi : un français moyen, de souche espagnole qui gagnait 800 francs par mois, qui n’achetait pas le journal, même à 5 sous et dont les préoccupations majeures étaient de nourrir sa famille, que les enfants obtiennent le certificat d’étude et qu’ils soient fonctionnaires…Les objectifs furent fixés très tôt.
Les vacances furent plus longues qu’à l’accoutumer. Monsieur Garcia fit une apparition en uniforme d’officier à deux gallons.
Depuis deux mois, la France était en guerre ; la rentrée des classes eu lieu tant bien que mal. Tous les esprits sont tournés vers les opérations qui se déroulent sur plusieurs fronts.
L’Allemagne a envahi la Pologne. Les chasseurs français, les Devoitines 520 enregistrent des succès. Sur une carte, le maître nous montre Varsovie, le couloir de Dantzig. En géographie, l’instituteur nous commente L’écho d’Oran : un combat naval se déroule dans l’estuaire du Rio de la Plata devant Montevidéo : trois croiseurs anglais obligent le fleuron de la marine allemande à se saborder. Nous étions ravis, La géographie et l’histoire en temps réel : la guerre serait vite finie.
Notre instituteur en uniforme disparu, laissant ses élèves les bras croisés attendant la suite du feuilleton…
Madame Garcia, plus belle que jamais, déménagea pour Décartes, son village natal, emmenant fistou et René Fleger : son fils et son jeune frère. La guerre se déroulait en Pologne, la bataille de Narvik faisait rage. Les convois passaient jour et nuit en direction de Casablanca au Maroc. Le feuilleton allait durer 5 ans.

dimanche 6 juillet 2008

28-4. Arrivée de Pépère à Turenne



Six mois plus tard, le café-hotel-restaurant était vendu quinze mille francs. Christine Sabater essaya un temps de supléer à madame Jules mais il lui aurait fallu six bras pour la remplacer.
Le grand- père Jules Roquefère dé barqua à turenne au train de 14 Heure en costume de coutil gris, la moustache blonde en guidon de vélo, un panama sur la tête , une petite valise à la main. Mohan débarqua une caisse et une cage : La première contenait une série de casseroles des ustensils de cuisine, un hachoir, un couperet ; la seconde hébergeait deux canards perclus de crampes,qui mouraient de soif depuis deux jours.



Dans la valise, Il y avait quelques photos, son livret de famille, un rechange et le petit coffre noir du tiroir caisse du café . Dedans : 15 billets bleus, que je n’avais jamais vus et une montre à gousset arrêtée à l’heure ou la Médjerda reçu une torpille allemande en 1917.
Les 15000 francs représentaient le fond de commerce, le matériel, la marchandise le linge et deux automobiles : le grand- père dans son empressement avait oublié qu’il avait donné la citroen à son gendre. Mon père ne revit plus l’automobile qu’il avait conduite une ou deux fois sans permis, à l’occasion de la Mouna. Mémé Jeanne fit une croix sur le trousseau de sa mère, qui lui tenait pourtant à cœur.
Enfin ! Le grand-père avait refusé de l’aide et répondu à son gendre et à sa fille : vous n allez pas venir m’emmerder, ou quelque d’approchant.
En ce temps là, on ne laissait pas tomber son père ou sa mère . On fit donc au grand père une place dans la chambre des garçons .mais la maison fut jugée trop petite et il fallu envisager de trouver une maison avec une pièce de plus et pourquoi pas avec un jardin. Le projet fut mis en sommeil jusqu’ aux vacances scolaires .Le pépère tournait en ronds, il fumait, allait aux escargots et grossissait encore. Il se faisait une gloire de peser 120 kilos : plus d’ un quintal. Nous dûmes nous accoutumer du tonnerre de ses ronflements .
En juin 1939, le directeur d’école, Monsieur Garcia, présenta ses élèves à l’examen et Raymond obtint le certificat d’étude. Alors se posa le problème : où l’aîné continuera ses études ? Il ira en pension à l’E.P.S. à. Tlemcen . Comme promis ,Camille dénicha une jolie petite maison, qu’on baptisa la villa Hernandez , du nom de son propriétaire, près de l’église à deux pas de la cave coopérative, de l’épicerie de la boulangerie et du boucher : un vrai bonheur : trois chambres , une grande cuisine, une buanderie, une cave, un jardin avec un verger, un wc au fond du jardin, un poulailler, un hangar.
Jeannette quitta la maison trop petite, ainsi que sa voisine Madame Forêt : l’amitié des deux femmes s’en trouva renforcée. Elles avaient des points communs. Elles aimaient toutes les deux le tricot, la cuisine, les confitures, les conserves, les pâtisseries, elles aimaient bien rire, ma mère gardait son père et la copine le beau-père.
Les deux grands pères s’ignoraient poliment. Le ‘’ vieux Forêt ‘’ vivait pour la chasse la montagne, et le gibier : son fusil, sa cartouchière, du pain et olives, du tabac à rouler, il disparaissait. Plusieurs jours après il réapparaissait avec une gibecière pleine à craquer un sanglier sur les épaules et frais comme un papillon, près à recommencer : juste le temps de refaire des cartouches, du tabac et il repartait. Notre grand-père avait pris des habitudes au café : il dirigeait, bricolait des cages pour ses oiseaux, allait à la chasse, assurait l’ouverture et la fermeture du café, et le soir il comptait la caisse ; après midi une sieste du tonnerre de Brest. Pendant ce temps, Pauline s’appuyait : le ménage, la cuisine, le comptoir de 13 à 16 heures, quand Jules faisait sa sieste, les verres au bassin à l’heure de l’appéro et de la belotte, et après c’était les engueulades : - Pauline ! Y a du monde au comptoir ! Aussi elle quitta ce bas monde avant son heure, épuisée par les lessives, les grossesses, les fausses couches à répétition. De temps en temps, le pépère partait à Alger, aux courses de chevaux, le porte feuille bien garni il fréquentait le Tantonville ; à Oran le Grand café. Notre grand père était comme les poireaux : il avait le cheveu blanc et la queue verte. Sa carte d’actionnaire des courses portait en face de la mention profession : propriétaire. Sa photo ne le trahissait pas, son panama non plus car il avait le physique de l’emploi. Mais il était très beau et ma mère adorait son père.
Sa chance fut qu’il eut une fille. Mais elle eut le courage et l’énergie de lui dire ses quatre vérités. Elle su admirablement se partager entre sa marmaille, son mari et son père.
Nous étions à mi chemin de l’année 1939. Le projet de cure thermale en France fut maintenu malgré la conjoncture : la guerre d’Espagne tirait à sa fin, Hitler affûtait ses couteaux. Le grand père se déboutonna : il donna discrètement à son gendre un grand billet bleu tiré de sa cassette et lui dit : tiens ! Camille pour toi, les enfants et la cure de Jeannette. Puis le Pépère se retroussa les manches et mit en route la villa Hernandez : le jardin potager, et fruitier, un élevage de poules et de lapins. Quelle joie, quel miracle quand la première couvée de petits poussins se mit à pépier dans la paille autour de la couveuse ébouriffée. Pépère planta un grand carré de chrysanthèmes pour vendre à la Toussaint Il entreprit de débiter du bois pour l’hiver : des souches de vignes et des traverses achetées 30 sous les dix au chemin de fer. Il tirait le vin, cachetait les bouteilles qu’il descendait à la cave. Il était cigale, il devint fourmi. Enfin, vu qu’il avait été apprenti forgeron, il confectionna un grand portique avec balançoire pour Janine, une corde à nœuds pour les garçons, un trapèze et des anneaux pour Camille connaissant son faible pour les agrées et la gymnastique.
Chez nous, il eut le temps de réfléchir.
Je crois que l’erreur de son existence a été de scier la branche sur laquelle il coassait et lissait son plumage. Il confectionnait des cages pour toutes sortes d’oiseaux : chardonnerets, verdiers, serins, linots, perruches… Sa fille lui a ouvert sa maison. Il y est entré comme les passereaux qu’il emprisonnait, mais aussi comme on entre en religion : il mit une sourdine à son ramage ; il observait son gendre, sa fille ses petits enfants et insensiblement il prit conscience que nous étions sa famille, qu’il avait un rôle à jouer dans ce couvent où la photo de Pauline posée sur sa commode veillait à chacun de ses gestes. Je suis sûr que le soir en se couchant, il devait lui demander pardon

vendredi 4 juillet 2008

27 - 2.L’école Mr Garcia , les deux sénégalais

Nous emménageâmes vite fait bien fait dans une gentille petite maison à la périphérie du village. Nous n'eumes même pas le temps de perdre le bronzage de l’été, que nous avions récolté sur les plages de la baie d’Arzew : à DAMESME,, saint Leu, La Fontaine des Gazelles. Nous nous retrouvâmes sur les bancs de l’école communale, entre les mains de monsieur Garcia Auguste , le directeur .Là, surprise : à Arzew les camarades de classe s’appelaient :Ramoninio, Munioz, Gomez, Ramirez, Lévi, Dray ; tous des bruns aux yeux noirs qui jaccassaient en espagnol à la récréation. A Turenne, il fallu faire connaissance avec les Bontaz, les Rigal, Lamassour, Barthe, Corcuff, Langlade : des blonds aux yeux clairs ; ils jouaient en français et s’insultaient autrement avec des mots que nous étions les seuls à ne pas comprendre. Il fallu apprendre tout ce vocabulaire ce qui ne fut pas insurmontable.



La maison Hrenandez avec une Chambre pour Pépère une cour, un jardin , un poulailler,, une terrasse, une cave. Les commerces tout près ..Nous grandissions à coup de potajer qui mijotait en permanace sur la cuisinuère à bois qui chauffait la Maisonnée . Notre bronzage disparu après deux semaines d’école et comme il n’était pas passé inaperçu aux yeux des autochtones, ces derniers nous baptisèrent du surnom désobligeant de Sénégalais. Monsieur Garcia mit un coup d’arrêt à ce racisme après que notre mère eu mis les pieds dans le plat et son chapeau à fleurs, pour défendre sa progéniture et impressionner l’instituteur : il ne faisait pas son travail au regard de notre intégration. Les baffes du Directeur eurent un effet dissuasif limité, mais il fut aidé dans sa tâche par les coups de points de Raymond qui acheva le travail : il avait quelques combats d’avance sur nos détracteurs : les fils de pécheurs à Arzew, étaient de rudes batailleurs.
Nous connûmes des sorties d’école paisibles après deux mois de classe. Nos résultats scolaires contribuèrent à nous faire respecter.
Nous avions l’habitude à Arzew d’être dans les cinq premiers de la classe, à Turenne , Pépé Camille continua, comme par le passé, de verser sur nos livrets de caisse d’épargne, suivant un barème convenu, quelques pièces qui devaient stimuler nos résultats et surtout faire des économies. Celles-ci servaient à gonfler le budget vacances, à acheter des vélos, des vêtements, des chaussures ; nous étions de gros consommateurs de souliers, même ferrés ou cloutés.
L’année scolaire était bien avancée, l’hiver fut doux ; Monsieur Garcia remonta vite dans l’estime de mes parents : nous allions à l’étude, la répétition : il nous faisait travailler dur et fermement : il avait la main leste, ce qui chagrinait ma mère, mais donnait toute satisfaction à notre père : c’était ça de moins qu’il avait à faire. Enfin nous étions tenus, instruits, éduqués et il ne faisait payer qu’un enfant dans les familles nombreuses. L’esprit de Jules Ferry était encore respecté.





La maison avec un jardin nous montions sur les tuiles pour appeler Lucien florès par dessus le mur mitoyen .

mardi 1 juillet 2008

26-Arrrvée à Turenne

. En septembre 1938 ,nous quittions Arzew pour Turenne : un gentil petit vllage, haut perché dans L’Atlas,entre Tlemcen et Oujda .Son climat sec et rigoureux devait mettre fin aux rhumatismes de mémé Jeanne
Le chemin de fer nous y emmena à travers plusieurs tunnels, d’où nous sortîmes enfumés comme les harengs de la rue des juifs ; pour nous achever, quelques viaducs nous donnèrent le vertige et la nausée. Après Tlemcen , la locomotive mit les" bouffées " doubles jusqu’à Zelboun . Son tintamarre d’essieux de grincements , de sifflets, de ouf ouf ouf ricochait dans la vallée comme pour signaler à monsieur Cassé que le train était à l’heure, qu’il pouvait tourner les aiguillages et ouvrir la voie. La forêt de chênes lièges disparue un moment dans le panache blanc de la locomotive et elle s’assoupit dans les ombres bleues qui montaient de la vallée.
Le convoi dévala ensuite vers notre destination. A vingt heure cinq minutes nous débarquions sur le quai déserté ; seuls le chef de gare, ses deux chiens et Mohan nous attendaient
Monsieur Cassé était un homme d’une cinquantaine d’années , grisonnant, le teint rose, la moustache d’un autre temps, la casquette à coiffe blanche ramenée sur le front .Il balança la lanterne ,et donna le signal du départ d’une rafale de sifflet : le train repartit à brides abattues vers Médjaed nous abandonnant à l’ air frais du soir et au silence de la nuit .L’accueil fut chaleureux , les chiens firent des fêtes aux enfants à grands coups de queue.
Mohan , le préposé aux marchandises, emmena sur un chariot à quatre roues les colis qui devaient nous permettre de survivre en attendant le déménagement. Monsieur Cassé et pépé Camille procédèrent à un inventaire rapide des affaires qu’ils déposèrent dans la « halle » aux bagages près de la lampisterie. Madame Cassé nous servit une grosse soupe à l’oignon et du confit de sanglier .La journée avait été longue depuis le départ d’Arzew, enfin on nous coucha sur des lits de fortune dont nous primes possession sans nous faire bercer.
Le surlendemain, dès la première heure de la matinée, un train de marchandises décrocha un wagon couvert destiné à huit chevaux ou quarante hommes. Exceptionnellement il transportait notre déménagement.
Pendant la manœuvre, pépé Camille vérifiait déjà les plombs et les ligatures. Ce n’était pas le même wagon qui avait quitté Arzew : il était plus grand, plus impressionnant ; mon père nous nous expliqua qu’il y avait eu un transbordement à Perrégaux pour passer de la voie étroite à la voie large. Les ligatures furent coupées avec la grande cisaille rouge qu’on nous interdisait de toucher parce qu’on aurait pu se blesser.
Pépé Camille organisa le transfert du mobilier : il loua un camion à bête tiré par un vieux cheval blanc et gris qui sentait l’écurie à quinze mètres. Il pissait par un gros appendice qui sortait entre ses pattes de derrière.Ildevait faire des allées et venues conduit par un grand Marocain aussi maigre que son canasson et qui flottait dans son grand sarouel délavé. Le conducteur s’exprima en espagnol quand il s’aperçu que mon père s’appelait Martinez et ne fut pas long à expliquer dans la langue de Cervantès qu’il était né du coté de Mélia au Maroc espagnol. ..
Après une dizaine de voyages de la gare au village en passant par l’allée des noyers, le wagon fut vidé de nos objets familiers que nous voyions défiler dans des situations périlleuses. Le camion craquait, pliait, gémissait sous la charge. Au départ il fallait aider le cheval à se mettre en route, ensuite, c’était le camion qui poussait le quadrupède, alors, le marocain était obligé de serrer la mécanique : de freiner. Je l’accompagnais à chaque voyage, perché à coté de lui, cramponné au siège qui oscillait sous les branches de noyers qu’on évitait en baissant la tête. C’est à partir de ces émotions que je compris que trois déménagements valent un incendie.
Pendant ce temps, mon père remontait les lits et les armoires, ma mère rangeait sa cuisine avec Jeannine dans ses jupes et Raymond gardait le wagon qui restait ouvert.
Notre aîné ne perdit pas un instant : il trouva le temps de lier amitié avec Rémy, le fils unique des docks, un garçon de notre âge, tout blond qui voyait en nous de futurs copains ; lis eurent même l’occasion de décocher quelques pierres à un vol de pigeons qui venaient se nourrir autour des silos à grains.
Mohan, le préposé aux bagages, était en fait la petite main de monsieur Cassé. Il était vêtu comme un Roumi, excepté pour la coiffure : il portait un turban comme les maharadjas indiens ; pour le reste, il s’habillait avec le linge que Bernard cassé ne voulait plus. La famille Cassé était une véritable aubaine pour Mohan : contre de petits coups de mains, il avait toujours un plat chaud de nourriture, des vêtements, et l’autorisation de dormir dans la lampisterie où l’hiver, le poêle des chemins de fer dispensait jour et nuit ses calories.
En fait, les trois employés : le chef, l’intérimaire, le facteur, utilisait la petite main c’est ainsi que monsieur Cassé décida que Mohan porterait la panière matin et soir afin de ravitailler l’intérimaire : au train de onze et de treize heures.
L’intérim consistait à remplacer l’unique employé des gares voisines : Aïn- féza, Médjahed, Mansourah, Zelboun, Zoudje-Brel. La panière contenait les repas de l’intérimaire à l’aller et n’était pas toujours vide au retour : suivant les saisons, elle revenait chargée de fruits : cerises, noix, pêches, figues, abricots, prunes, ou de gibiers : grives, lièvre, perdreaux.
Le troisième employé , le facteur, était le fils de madame Jacqueneau son frère cadet était au séminaire à Oran ; la maman occupait la cure qui n’avait jamais hébergé de curé ; l’évêché n’avait pas jugé bon d’affecter un prêtre au village à temps plein et c’est l’abbé François de Marnia qui le dimanche disait la messe de huit heure à Médjahed , de neuf heure trente à Turenne , de onze heure à Marnia : un vrai marathon ; tout cela avec un triporteur qui pétaradait dans la cote de Barbata. Ces pétarades étaient le signal pour donner le troisième coup de la grosse cloche qui signifiait aux paroissiens que la messe allait commencer.
C’est Raymonde Cassé qui dévoila à ma mère les principaux aspects de la vie spirituelle du village. Elle était bien placée pour la renseigner : elle tenait l’harmonium à toutes les occasions. Elle était fine et très belle ; elle rivalisait dans mes appréciations avec la statue de Jeanne D’Arc que je ne trouvais pas assez féminine dans son accoutrement guerrier. Elle se maquillait avec raffinement et faisait très distinguée. Après coup je l’aurais bien vue dans le rôle de blanche neige. Le fils du maire ne s’y trompa pas quand il l’épousa quelques années plus tard. En attendant Raymonde ne perdit de temps : elle recruta deux enfants de cœur pour l’abbé François et deux élèves pour le catéchisme de Georgette Barthe.