Six mois plus tard, le café-hotel-restaurant était vendu quinze mille francs. Christine Sabater essaya un temps de supléer à madame Jules mais il lui aurait fallu six bras pour la remplacer.
Le grand- père Jules Roquefère dé barqua à turenne au train de 14 Heure en costume de coutil gris, la moustache blonde en guidon de vélo, un panama sur la tête , une petite valise à la main. Mohan débarqua une caisse et une cage : La première contenait une série de casseroles des ustensils de cuisine, un hachoir, un couperet ; la seconde hébergeait deux canards perclus de crampes,qui mouraient de soif depuis deux jours.
Le grand- père Jules Roquefère dé barqua à turenne au train de 14 Heure en costume de coutil gris, la moustache blonde en guidon de vélo, un panama sur la tête , une petite valise à la main. Mohan débarqua une caisse et une cage : La première contenait une série de casseroles des ustensils de cuisine, un hachoir, un couperet ; la seconde hébergeait deux canards perclus de crampes,qui mouraient de soif depuis deux jours.



Dans la valise, Il y avait quelques photos, son livret de famille, un rechange et le petit coffre noir du tiroir caisse du café . Dedans : 15 billets bleus, que je n’avais jamais vus et une montre à gousset arrêtée à l’heure ou la Médjerda reçu une torpille allemande en 1917.
Les 15000 francs représentaient le fond de commerce, le matériel, la marchandise le linge et deux automobiles : le grand- père dans son empressement avait oublié qu’il avait donné la citroen à son gendre. Mon père ne revit plus l’automobile qu’il avait conduite une ou deux fois sans permis, à l’occasion de la Mouna. Mémé Jeanne fit une croix sur le trousseau de sa mère, qui lui tenait pourtant à cœur.
Enfin ! Le grand-père avait refusé de l’aide et répondu à son gendre et à sa fille : vous n allez pas venir m’emmerder, ou quelque d’approchant.
En ce temps là, on ne laissait pas tomber son père ou sa mère . On fit donc au grand père une place dans la chambre des garçons .mais la maison fut jugée trop petite et il fallu envisager de trouver une maison avec une pièce de plus et pourquoi pas avec un jardin. Le projet fut mis en sommeil jusqu’ aux vacances scolaires .Le pépère tournait en ronds, il fumait, allait aux escargots et grossissait encore. Il se faisait une gloire de peser 120 kilos : plus d’ un quintal. Nous dûmes nous accoutumer du tonnerre de ses ronflements .

En juin 1939, le directeur d’école, Monsieur Garcia, présenta ses élèves à l’examen et Raymond obtint le certificat d’étude. Alors se posa le problème : où l’aîné continuera ses études ? Il ira en pension à l’E.P.S. à. Tlemcen . Comme promis ,Camille dénicha une jolie petite maison, qu’on baptisa la villa Hernandez , du nom de son propriétaire, près de l’église à deux pas de la cave coopérative, de l’épicerie de la boulangerie et du boucher : un vrai bonheur : trois chambres , une grande cuisine, une buanderie, une cave, un jardin avec un verger, un wc au fond du jardin, un poulailler, un hangar.
Jeannette quitta la maison trop petite, ainsi que sa voisine Madame Forêt : l’amitié des deux femmes s’en trouva renforcée. Elles avaient des points communs. Elles aimaient toutes les deux le tricot, la cuisine, les confitures, les conserves, les pâtisseries, elles aimaient bien rire, ma mère gardait son père et la copine le beau-père.
Les deux grands pères s’ignoraient poliment. Le ‘’ vieux Forêt ‘’ vivait pour la chasse la montagne, et le gibier : son fusil, sa cartouchière, du pain et olives, du tabac à rouler, il disparaissait. Plusieurs jours après il réapparaissait avec une gibecière pleine à craquer un sanglier sur les épaules et frais comme un papillon, près à recommencer : juste le temps de refaire des cartouches, du tabac et il repartait. Notre grand-père avait pris des habitudes au café : il dirigeait, bricolait des cages pour ses oiseaux, allait à la chasse, assurait l’ouverture et la fermeture du café, et le soir il comptait la caisse ; après midi une sieste du tonnerre de Brest. Pendant ce temps, Pauline s’appuyait : le ménage, la cuisine, le comptoir de 13 à 16 heures, quand Jules faisait sa sieste, les verres au bassin à l’heure de l’appéro et de la belotte, et après c’était les engueulades : - Pauline ! Y a du monde au comptoir ! Aussi elle quitta ce bas monde avant son heure, épuisée par les lessives, les grossesses, les fausses couches à répétition. De temps en temps, le pépère partait à Alger, aux courses de chevaux, le porte feuille bien garni il fréquentait le Tantonville ; à Oran le Grand café. Notre grand père était comme les poireaux : il avait le cheveu blanc et la queue verte. Sa carte d’actionnaire des courses portait en face de la mention profession : propriétaire. Sa photo ne le trahissait pas, son panama non plus car il avait le physique de l’emploi. Mais il était très beau et ma mère adorait son père.
Sa chance fut qu’il eut une fille. Mais elle eut le courage et l’énergie de lui dire ses quatre vérités. Elle su admirablement se partager entre sa marmaille, son mari et son père.
Nous étions à mi chemin de l’année 1939. Le projet de cure thermale en France fut maintenu malgré la conjoncture : la guerre d’Espagne tirait à sa fin, Hitler affûtait ses couteaux. Le grand père se déboutonna : il donna discrètement à son gendre un grand billet bleu tiré de sa cassette et lui dit : tiens ! Camille pour toi, les enfants et la cure de Jeannette. Puis le Pépère se retroussa les manches et mit en route la villa Hernandez : le jardin potager, et fruitier, un élevage de poules et de lapins. Quelle joie, quel miracle quand la première couvée de petits poussins se mit à pépier dans la paille autour de la couveuse ébouriffée. Pépère planta un grand carré de chrysanthèmes pour vendre à la Toussaint Il entreprit de débiter du bois pour l’hiver : des souches de vignes et des traverses achetées 30 sous les dix au chemin de fer. Il tirait le vin, cachetait les bouteilles qu’il descendait à la cave. Il était cigale, il devint fourmi. Enfin, vu qu’il avait été apprenti forgeron, il confectionna un grand portique avec balançoire pour Janine, une corde à nœuds pour les garçons, un trapèze et des anneaux pour Camille connaissant son faible pour les agrées et la gymnastique.
Chez nous, il eut le temps de réfléchir.
Je crois que l’erreur de son existence a été de scier la branche sur laquelle il coassait et lissait son plumage. Il confectionnait des cages pour toutes sortes d’oiseaux : chardonnerets, verdiers, serins, linots, perruches… Sa fille lui a ouvert sa maison. Il y est entré comme les passereaux qu’il emprisonnait, mais aussi comme on entre en religion : il mit une sourdine à son ramage ; il observait son gendre, sa fille ses petits enfants et insensiblement il prit conscience que nous étions sa famille, qu’il avait un rôle à jouer dans ce couvent où la photo de Pauline posée sur sa commode veillait à chacun de ses gestes. Je suis sûr que le soir en se couchant, il devait lui demander pardon
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