dimanche 13 juillet 2008

37- 15. Le trou du Négro


L’été arriva très vite. Notre père remit en état les vélos. Nous renouvelâmes les estaques : A ce propos, nous étions experts pour façonner des manches en bois d’olivier.
La recette ? :
Cueillir une jeune branche d’olivier en Y avec un V bien symétrique et régulier
A l’aide de fil de fer, et d’une cale, façonner le V pour en faire un U, ligaturer à 8 centimètres
Passer au four afin de sécher le bois vert, le séchage est à point dès que le bois change de couleur
Réaliser à la lime triangulaire 2 entailles au point de fixation des élastiques
Découper dans une chambre à air de camion les élastiques en bandes de 1 centimètre de large sans créer d’amorce de cassure
Récupérer dans la poubelle du bourrelier de madame Lévy une chute de cuir souple
Découper le cuir en forme de haricot, ménager 2 trous pour fixer les élastiques, etc. ….etc.
Le tout assemblé constituait une arme redoutable pour les volatils et les chiens errants.
Ainsi nous étions prêt pour sillonner la campagne, les rivières, les vergers et même viser les volailles en liberté. Nous profitions de l’heure de la sieste pour mener à bien nos expéditions jusqu’à la tombée de la nuit ; c’est alors que nous mettions à profit l’obscurité pour chasser les moineaux à la lampe électrique : nos journées étaient bien remplies.
Souvent, en pleine chaleur, au mois d’août, nous allions nous baigner à la rivière : un affluent de la Tafna ; plus exactement, nous allions au trou du Négro .
Le trou en question avait sa légende. Celle –ci excitait notre curiosité, nos angoisses et notre témérité. Le site portait le nom de celui qui après un plongeon ne retrouva plus jamais la surface et le ciel bleu. On racontait qu’il était mort de congestion après avoir manger une pastèque avant la baignade ; on racontait aussi qu’il avait été aspirer par le gouffre, et qu’il était resté coincé sous les roches creuses : celles-ci résonnaient sous nos pas ; enfin, certains parlaient de « djenouns ». ET là, mystère, c’était la confusion : le diable, les revenants, les morts, le purgatoire, le négro, l’abbé François, les fantômes hantaient nos conversations et nos nuits.
On allait malgré tout au trou du Négro. Les plus hardis et ceux qui savaient bien nager s’y baignaient. Le cadre était splendide : d’énormes blocs, arrondis par l’érosion et les crues servaient de cadre et de plongeoir naturel. Le trou était profond, l’eau transparente ; des végétations généreuses et des vignes sauvages s’accrochaient aux caroubiers et aux oliviers centenaires. Toute une faune y vivait : les merles, les palombes, les pigeons, ramiers, y allaient de leurs sifflements et de leurs roucoulements. Les grenouilles croassaient dans les joncs et les lauriers roses, prêtes à plonger à la moindre alerte. On se prenait pour Tarzan, il n’y manquait que Tchita et les crocodiles, nous étions les rois de cette jungle : la vallée résonnait du cri de Tarzan que l’on imitait à merveille. Avec nos lances- pierres on s’exerçait sur les grenouilles et les libellules en vol stationnaire, on se baignait malgré les serpents d’eau. Les « yaouleds » des douars voisins nous observaient à distance en surveillant leurs chèvres. Ils en profitaient pour se livrer à quelques rapines à nos dépends : je du mettre une croix sur ma chemisette du dimanche, Lucien Florès y laissa ses sandalettes et Rigail son pantalon. Tout cela finissait en affrontement à la fronde de berger : celle –ci claquait comme des pistolets, et les pierres sifflaient sur nos têtes. Très dangereux ces combats ; mais nous n’avions pas peur, on s’exprimait en imitant les Indiens des westerns :
Lions attaquent Hyènes avant coucher soleil !
Nous étions les lions, les justiciers.

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